Nouakchott, Mauritanie – À l’heure où la démocratie traverse une crise de confiance à l’échelle mondiale, la Mauritanie fait face à ses propres défis : instabilité sociale, montée des tensions communautaires, sentiment de marginalisation. Dans cette tourmente, une évidence émerge : la nécessité de réintégrer pleinement les autorités traditionnelles dans la gouvernance nationale. Longtemps marginalisées, elles détiennent pourtant des leviers puissants pour réconcilier l’État et les citoyens, garantir la paix sociale, et reconstruire le lien entre institutions et populations.

Chefs de villages, chefs de tribus, notables religieux — ces figures ancrées dans les dynamiques locales sont les dépositaires de nos valeurs, de nos traditions, et de notre histoire. Avant même l’institutionnalisation de la religion à travers les ministères, ce sont eux qui ont préservé l’islam dans sa dimension spirituelle, communautaire et désintéressée. Ils ont refusé que les érudits soient instrumentalisés au profit d’intérêts personnels. En retour, ils méritent d’être consultés dans toute démarche de dialogue social ou de réforme structurelle.

L’exemple de la Côte d’Ivoire, notamment dans la commune de Divo, montre à quel point l’articulation entre justice traditionnelle et magistrature peut devenir un facteur de stabilisation. La chefferie traditionnelle, fondée sur la coutume, la médiation et la réconciliation, y coexiste avec la justice d’État, fondée sur le droit positif et la sanction. Si des tensions existent, elles prouvent surtout la nécessité d’une meilleure coordination, de règles claires de collaboration et de respect mutuel entre ces deux systèmes. En Mauritanie, un tel partenariat serait non seulement bénéfique, mais essentiel.

Aujourd’hui, la démocratie ne peut plus se contenter d’un fonctionnement vertical et distant. Les taux de participation électorale en baisse, la méfiance vis-à-vis des élites politiques et l’exclusion ressentie par certaines couches sociales sont les symptômes d’un système à bout de souffle. Pour éviter que la défiance ne se transforme en rupture, il faut inventer une démocratie plus enracinée, plus représentative, plus inclusive. Et cela commence par redonner une voix aux autorités traditionnelles, qui, dans nombre de communautés, conservent encore une légitimité supérieure à celle des institutions modernes.

Les enjeux sont multiples : prévention des conflits fonciers, médiation dans les litiges familiaux, cohésion interethnique, appui à la justice, à la sécurité, à la gestion des ressources naturelles. Ce sont autant de domaines dans lesquels les autorités traditionnelles peuvent jouer un rôle de premier plan, en complémentarité avec l’État. Mais encore faut-il leur en donner les moyens, le cadre juridique, et surtout, la reconnaissance politique.

La paix durable ne peut venir que d’un dialogue franc entre modernité institutionnelle et héritage social. En redonnant leur place aux chefs traditionnels, la Mauritanie ferait un pas décisif vers une démocratie enracinée dans ses réalités, respectueuse de sa diversité, et capable de prévenir les tensions plutôt que d’y réagir.

Les autorités traditionnelles ne sont pas des vestiges du passé. Elles sont, au contraire, une des clés de notre avenir commun.

Mohamed BNEIJARA

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