RFI Afrique – L’armée française aura quitté le Mali d’ici fin août 2022 après neuf ans d’engagement. Mais l’effort militaire français va se poursuivre dans le partenariat de combat avec les Nigériens, indique le commandant actuel de la force Barkhane, le général Laurent Michon. Il est l’invité de RFI.

RFI : Le chef de l’État vous avait donné six mois pour quitter le Mali. Où en êtes-vous ?

Général Laurent Michon : Après quatre mois, nous avons quitté les secteurs de Gossi et de Ménaka, en bon ordre et en confiant aux forces armées maliennes les postes que nous occupions. Aujourd’hui, il nous reste deux mois pour quitter Gao. Nous estimons que nous serons à la fin de l’été capables de quitter le Mali comme cela nous a été demandé par le président.

Quels sont les volumes à déplacer, combien de containers quittent le Mali ?

Au bilan, ce sera plus de 2 000 hommes et plus de 4 000 containers qui auront été retirés du Mali en intégrant que nous avions déjà commencé avec les garnisons les plus au Nord, Kidal- Tessalit- Tombouctou-, avant la fin de l’année 2021.

Dans ce retrait, quelle est la menace terroriste sur le corridor qui relie Gao à Niamey ?

La menace terroriste demeure évidemment avec un certain nombre de groupes toujours très actifs. Le corridor de Gao à Niamey est un corridor très emprunté par beaucoup de monde. Il est essentiel au pays. Aussi bien la Minusma, que les forces armées maliennes, et donc Barkhane aussi, nous l’utilisons très fréquemment. Cette menace existe toujours sur cet axe important, mais elle n’est que ponctuelle, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de contrôle possible de l’axe par les groupes terroristes comme cela peut arriver dans d’autres parties du pays, au centre notamment.

Craignez-vous un coup d’éclat des groupes jihadistes lors des derniers jours de ce retrait ?

Oui, il est toujours possible que certains groupes terroristes tentent de faire croire qu’ils chassent Barkhane en agissant ponctuellement de façon symbolique. Donc, nous nous préparons à de tels coups d’éclats. Nous ne pourrons pas les empêcher, mais ils demeureront, j’imagine, assez difficile à conduire pour ces groupes.

De la même façon, craignez-vous qu’un épisode, comme Téra au Niger où un convoi français avait été pris à partie assez violemment par la population, se renouvelle ?

Hélas, la manipulation des populations est toujours possible ou même probable. En fait, elle est même avérée, y compris au Mali, par certains qui tentent de manipuler les uns et les autres en faisant croire des mensonges énormes du type : nous armons les GAT [groupe armé terroriste], nous kidnappons des enfants, nous créons des charniers, etc. Donc, ce genre d’actions indirectes est tout à fait possible. Nous nous y préparons pour ne pas être justement face à une population qui soit manipulée. Les Fama [Forces armées maliennes] nous y aident d’ailleurs.

Quelques semaines, après le départ de la base de Gossi, vous avez documenté une tentative de manipulation du groupe Wagner qui tentait de faire croire que vous alliez laisser derrière vous un charnier. Est-ce à vos yeux, mon général, un acte fondateur dans cette lutte contre les infox sur les réseaux ?

Je ne dirais pas que c’est un acte fondateur. Je dirais que c’est une démonstration qui se veut pédagogique de la façon dont la guerre se mène sur les perceptions des uns et des autres par des mercenaires qui, évidemment, n’ont aucune limite d’aucune sorte, éthique, etc., dans ce domaine-là comme dans leur façon de combattre d’ailleurs. C’est un jalon là encore, une démonstration de ce qui se passe en vrai sur les réseaux et sur le terrain, les deux étant évidemment intimement liés.

La réarticulation achevée, combien de soldats français resteront au Sahel ?

Il devrait rester environ 2 500 soldats dans l’ensemble du Sahel à la fin de l’été. Je suis prudent, car cela dépend d’abord et avant tout des capitales africaines et de leur souhait d’être soutenues par la France.

Peut-on dire que ce sera la fin de l’opération Barkhane ?

À mon sens, oui. C’est en tout cas la fin d’une certaine forme de Barkhane telle que nous l’avons connue depuis huit années. D’abord, je tiens à dire que Barkhane a beaucoup évolué même si cela ne se voit pas forcément de l’extérieur. Par exemple en 2019, il y a eu un virage important, axant davantage nos opérations sur la coopération. Cette évolution va se poursuivre et s’accentuer. Oui, c’est la fin d’une certaine forme de Barkhane.

Bilatéralisme et discrétion, c’est ça ? C’est la nouvelle philosophie de l’action au Sahel ?

Ce n’est pas que du bilatéralisme. C’est de la coopération accrue, sous une forme bilatérale, oui, et sous une forme qui peut être et demeurer unilatérale aussi, car elle peut être utile le long des frontières, notamment lorsqu’il y a plusieurs pays concernés. Discrétion ? Je ne dirais pas ça, mais en tout cas, en soutien de l’action des armées africaines, et uniquement en soutien, c’est-à-dire ce qu’elles veulent voir apporter par nos capacités de renseignements, d’actions sur le sol, en l’air, mais uniquement en soutien d’elles.

Quelle est la vraie menace, mon général, aujourd’hui au Sahel, les groupes armés terroristes ou bien également aussi la Russie ?

La vraie menace est évidemment constituée des groupes terroristes. Et j’entends par groupes terroristes leurs chefs ou leurs colonnes vertébrales qui ont une vraie stratégie d’exportation, qui l’ont écrite, et qui l’appliquent de façon très volontariste. C’est une menace envers les populations, envers la stabilité des pays. C’est bien celle-là que nous combattons ensemble avec les Européens qui veulent bien venir avec nous soutenir les pays africains qui en souffrent.

Par : Franck Alexandre

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