En 2018, les États membres de l’Union africaine adoptaient le Cadre de politique migratoire pour l’Afrique révisé et son plan d’action couvrant la période 2018-2030. Ce document ambitieux visait à doter le continent d’un cadre cohérent de gestion des migrations, fondé sur les principes de libre circulation, de respect des droits humains, de lutte contre la traite des personnes, et d’intégration des dimensions sociales et économiques de la migration dans les politiques nationales. En tant que pays membre de l’Union africaine et carrefour migratoire entre l’Afrique de l’Ouest, le Maghreb et l’Europe, la Mauritanie s’est formellement engagée à mettre en œuvre ce cadre. Pourtant, à mi-parcours de l’échéance 2030, l’application concrète de ces principes demeure incomplète, parfois même contradictoire.

Depuis 2020, les autorités mauritaniennes, avec l’appui de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), ont entamé un processus de révision de la stratégie nationale de gestion migratoire. Pilotée par le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation, cette réforme a pour ambition de répondre aux exigences internationales tout en adaptant les réponses aux réalités du pays. La stratégie met en avant des axes tels que la lutte contre la traite des êtres humains, l’amélioration des conditions d’accueil, et le renforcement du cadre légal pour mieux encadrer les mouvements migratoires, notamment dans un contexte de flux croissants en provenance de pays en crise.

Dans les faits, cependant, les efforts de la Mauritanie s’inscrivent aussi dans une dynamique régionale fortement influencée par l’Union européenne. En mars 2024, Nouakchott et Bruxelles ont conclu un accord de partenariat de 210 millions d’euros visant à renforcer la coopération en matière de gestion des migrations. Ce financement substantiel a pour objectif affiché de lutter contre les départs irréguliers vers l’Europe, notamment depuis les côtes atlantiques mauritaniennes en direction des Canaries. Officiellement, les fonds visent à renforcer les capacités nationales, améliorer les infrastructures frontalières et appuyer les programmes de développement. En réalité, une part importante de cette aide est orientée vers des dispositifs de surveillance et d’interception des migrants, parfois au prix de violations des droits fondamentaux.

De nombreux rapports d’ONG, mais aussi d’enquêtes journalistiques indépendantes, ont révélé des pratiques préoccupantes. Des migrants, en situation irrégulière ou simplement en transit, sont arrêtés puis refoulés vers des zones désertiques à la frontière avec le Mali ou le Sénégal, sans procédure légale, sans accès à un avocat ni possibilité de demander l’asile. Ces refoulements, parfois massifs, sont dénoncés comme contraires aux conventions internationales sur la protection des personnes migrantes, et en total décalage avec les engagements pris dans le cadre africain. Dans ces zones frontalières, les personnes expulsées se retrouvent sans assistance, exposées à des risques de violence, de traite ou de disparition.

Les conditions de vie des migrants présents sur le territoire mauritanien, qu’ils soient en transit ou installés durablement, restent difficiles. Moins d’un tiers d’entre eux auraient accès à des soins de santé adéquats, et moins de 20 % à l’éducation formelle, selon des données récentes compilées par des structures locales et internationales. Beaucoup vivent dans des quartiers périphériques, en situation d’irrégularité administrative, exposés aux abus, à la précarité et à l’exploitation. Cette marginalisation, loin de résoudre les défis migratoires, les aggrave, et alimente une économie informelle de plus en plus opaque.

À cela s’ajoute un scandale majeur survenu fin 2024, qui a ébranlé la coopération mauritano-européenne en matière migratoire. Plusieurs agents des forces de sécurité mauritaniennes ont été mis en cause pour corruption, accusés d’avoir organisé, en contrepartie de pots-de-vin, le passage illégal de migrants vers les côtes. Ces révélations ont suscité un tollé, tant à Bruxelles qu’à Nouakchott, et mis en évidence les failles de gouvernance dans la gestion des fonds européens. Si les autorités ont promis des sanctions et une transparence renforcée, cette affaire a révélé les limites d’une coopération fondée principalement sur des impératifs de contrôle sécuritaire, au détriment des mécanismes de suivi, d’évaluation et de redevabilité.

Entre les promesses du Cadre de politique migratoire pour l’Afrique et la réalité du terrain, un écart important demeure. La Mauritanie se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Elle doit concilier sa souveraineté, ses obligations régionales et internationales, et les besoins de sa population, tout en garantissant le respect de la dignité des personnes migrantes. La réussite de cet équilibre dépendra de la capacité des autorités à développer une gouvernance migratoire inclusive, transparente et fondée sur les droits, en lien avec les acteurs locaux, les communautés d’accueil et les partenaires internationaux. À défaut, les contradictions actuelles risquent d’alimenter les tensions et de compromettre durablement la cohésion sociale et la crédibilité des engagements pris au niveau continental.

Mohamed BNEIJARA

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