En Mauritanie, ceux qui ont le plus besoin de justice… ce sont parfois les magistrats eux-mêmes. Pourtant, la justice est l’un des piliers fondamentaux de toute nation. Elle garantit l’État de droit, protège les libertés individuelles et assure une équité entre les citoyens. Mais comment attendre de cette institution qu’elle remplisse pleinement sa mission si ceux qui en ont la charge ne disposent pas des moyens nécessaires pour l’exercer dignement ?
Dans plusieurs juridictions à travers le pays, il n’est pas rare de voir des procureurs de la République ou des présidents de tribunaux se rendre au travail dans des véhicules privés, parfois empruntés ou prêtés par des auxiliaires de justice, comme la police ou la gendarmerie. Une telle réalité envoie un message inquiétant : celui d’un État qui semble négliger, voire entraver, le bon fonctionnement du secteur chargé de faire respecter la loi.
Ce manque de moyens matériels, logistiques et financiers ne peut qu’avoir des conséquences graves. Lorsqu’un magistrat peine à se déplacer, à faire respecter ses décisions ou à bénéficier d’un minimum de considération institutionnelle, c’est l’ensemble de la chaîne judiciaire qui en souffre. Cette précarité finit par provoquer un désintéressement progressif des acteurs de la justice, qui se sentent abandonnés, sans reconnaissance ni soutien de l’État.
Pis encore, cette fragilité rend certains magistrats vulnérables aux tentations de la corruption. Quand la rémunération est faible, que les conditions de travail sont déplorables et que la pression sociale est forte, le risque de compromission augmente. Ainsi, loin d’incarner une justice impartiale et indépendante, certains peuvent être perçus comme influençables ou soumis à des intérêts extérieurs. Cela alimente la défiance des citoyens et fragilise encore davantage le lien entre la justice et la population.
De plus, le manque de moyens engendre un profond déficit de motivation. Comment exiger rigueur, efficacité et intégrité de la part de magistrats qui exercent leur fonction dans l’insécurité, la précarité ou le mépris ? Une justice dévalorisée est une justice affaiblie. Et une justice affaiblie est une menace directe pour la démocratie.
Dans plusieurs nations à tradition démocratique, la question de l’indépendance de la justice est prise très au sérieux. Les magistrats y bénéficient non seulement de moyens suffisants pour accomplir leur mission, mais aussi de garanties institutionnelles fortes. Dans certains pays, les juges sont nommés à vie, précisément pour les prémunir de toute pression politique ou économique. Cette stabilité leur permet d’agir en toute impartialité, sans crainte de représailles ni besoin de complaisance.
Il est donc urgent que l’État mauritanien repense sa politique envers l’institution judiciaire. Il ne s’agit pas simplement d’augmenter des budgets, mais de reconnaître que la justice n’est pas une charge, mais un investissement stratégique pour l’avenir du pays. Doter les magistrats de moyens adéquats, renforcer leur indépendance, valoriser leur rôle dans la société : voilà des priorités qui devraient s’imposer à tout gouvernement soucieux de l’État de droit.
Car, en définitive, la justice n’est crédible que lorsqu’elle est forte, respectée… et respectueuse. Et cela commence par la dignité de ceux qui la rendent.
Mohamed BNEIJARA