En Mauritanie, la multiplication des structures administratives semble suivre une logique paradoxale : on crée, on dote de missions ambitieuses, puis on abandonne. Des hakems marginalisés, des walis impuissants, des maires discrédités, et maintenant des conseils régionaux mis sur pause faute de moyens. Le constat est amer, mais largement partagé : l’État central crée sans donner les outils nécessaires pour réussir.
Les représentants déconcentrés de l’État, hakems et walis, sont souvent écartés des processus de gestion des ressources publiques. À tort ou à raison, la défiance s’est installée : on leur reproche un manque de probité, et on leur retire progressivement les prérogatives de gestion, au point de les reléguer au rang de simples observateurs.
Les communes, censées être les piliers de la gouvernance de proximité, ne sont pas mieux loties. Les maires, souvent élus sur la base de calculs partisans, manquent de crédibilité. On les juge « politiques », peu sérieux, et incapables d’honorer les responsabilités qu’on leur confie.
Dans cette crise de confiance, l’État a cru bon d’introduire un nouveau niveau de gouvernance : les conseils régionaux. Nés avec l’ambition de territorialiser les politiques publiques, ils ont été encouragés à élaborer des documents stratégiques comme les SCRAPP (Stratégies de Croissance Régionale Accélérée et de Prospérité Partagée). Mais là encore, une fois les plans établis, les moyens n’ont pas suivi. Résultat : des conseils régionaux théoriquement en charge du développement local, mais pratiquement privés de pouvoir réel.
Une centralisation persistante qui freine le développement
Pourquoi continuer à créer des institutions si c’est pour leur refuser les moyens de fonctionner ? Cette incohérence pose une question de fond sur la volonté réelle de décentralisation. Car malgré le discours officiel sur la déconcentration et le développement local, les ressources continuent d’être centralisées à Nouakchott, dans les ministères et les directions générales. L’administration centrale conserve l’essentiel du pouvoir de décision, notamment en matière de budget et de passation des marchés, là où les enjeux financiers sont les plus sensibles.
Cette centralisation étouffe les dynamiques locales et crée une frustration croissante au sein des populations et des acteurs de terrain, qui observent impuissants la lenteur, voire l’immobilisme, des réponses à leurs besoins prioritaires.
Pour une décentralisation véritable et responsable
Il est temps que les gouvernants revoient leur copie. Chaque région doit disposer de son propre budget, adapté à ses réalités, géré par ses propres institutions, et contrôlé selon des mécanismes rigoureux de transparence et de redevabilité. L’État central, quant à lui, doit jouer un rôle d’orientation, de suivi et d’évaluation, non de substitution.
Les régions ont une connaissance fine de leur territoire, de leurs défis, de leurs ressources et de leurs priorités. Leur confier les moyens d’agir, c’est reconnaître cette expertise et faire le choix de l’efficacité et de la proximité. Refuser de le faire, c’est maintenir un système qui ne fonctionne que pour lui-même, et non pour les citoyens qu’il est censé servir.
Mohamed BNEIJARA