Jeune Afrique – Le changement climatique, le déficit hydraulique, la marginalisation des zones concernées, le morcellement des terres, la mauvaise gestion des ressources, mais aussi l’urbanisation croissante menacent la survie des oasis dans le monde. Au Maghreb, des associations tirent la sonnette d’alarme, en militant pour leur préservation via notamment une coopération transfrontalière.
Le projet « gestion adaptative et de surveillance des systèmes oasiens au Maghreb (Maroc, Mauritanie et Tunisie) » a bientôt un an. Il prévoit, entre autres, « la création d’une plateforme commune informative et l’élaboration d’un « guide des bonnes pratiques dans les oasis », comme le rappelait le 11 juillet, à Tunis, Slah Abdeddayem, coordinateur du projet pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Face à l’urgence de la situation, une première plateforme de la société civile oasienne au Maghreb et au Sahel fut créée en 2001 : le Réseau associatif de développement durable des oasis (Raddo), animé par le Centre d’actions et de réalisations internationales (Cari). Jean-Baptiste Cheneval, co-directeur de Cari en charge des programmes oasiens, nous en dit plus sur l’état des oasis maghrébins.
Jeune Afrique : Existe-t-il une spécificité concernant ces oasis maghrébins ?
Jean-Baptiste Cheneval : Les oasis sont des agrosystèmes élaborés par les populations qui y habitent, via l’utilisation d’une ressource essentielle : l’eau. Elles se trouvent sur d’anciennes routes caravanières et donc commerciales, des sortes de « ports sahariens » dans lesquels transitaient les différents flux africains et méditerranéens.
Cette valeur historique et les techniques utilisées traditionnellement font de ces oasis un important patrimoine commun à préserver. Certaines, d’ailleurs, ont été classées au patrimoine mondial de l’Unesco, comme la vallée du M’Zab, en Algérie.
Il n’y a pas de spécificité maghrébine concernant les oasis, si ce n’est cette histoire et ce patrimoine communs. Le Maghreb étant la région la moins intégrée économiquement d’Afrique et l’une des moins intégrées au monde – en termes d’échanges commerciaux intrazone –, les oasis peuvent agir comme le trait d’union entre les pays.
Quelles menaces pèsent principalement sur les oasis du Maghreb ?
Les oasis naissant et survivant grâce à l’eau, la principale menace pour ces zones est le tarissement de cette ressource essentielle. Un tarissement dû à la surexploitation des nappes phréatiques par des systèmes de forage profonds, par le développement de pompages privés (souvent illégaux), et par le réchauffement climatique. D’après les prévisions d’experts, la région − où les températures sont déjà élevées − devrait connaître une hausse du mercure dans les années à venir et une multiplication des périodes de sécheresse.
L’urbanisation a aussi des conséquences sur la vie oasienne, car les zones habitées (douars) ont tendance à empiéter sur les zones cultivées (palmeraies), ce qui crée une concurrence et une pression supplémentaire pour l’eau. Le niveau de l’eau baisse de plus en plus, certaines variétés végétales disparaissent.
La marginalisation de ces régions par les pouvoirs centraux, de faibles investissements et le développement d’une agriculture marchande n’arrangent rien. Autre menace : le bayoud, une maladie qui provoque la mort des palmiers dattiers en Afrique du nord, et qui a décimé les deux tiers de la palmeraie marocaine au cours du siècle dernier.
La crise des oasis est donc multiple : écologique, économique, sociale (réorganisation et disparition des groupements locaux de gestion de l’eau) et foncière (morcellement des parcelles, de plus en plus petites). La désertification progressive des terres – due à une mauvaise et à une surexploitation des sols − pousse les populations à migrer vers les agglomérations.
Le Maghreb, à 75% aride, compterait environ 350 000 hectares d’oasis. Mais il n’existe pas de chiffres officiels, il est difficile de déterminer exactement leur superficie.
Comment y remédier ? Quelles sont les priorités aujourd’hui ?
Les oasis sont des éléments structurants du territoire, elles existent depuis des années et ont su s’adapter aux aléas du temps et du climat. Le principal enjeu, c’est le développement durable – j’insiste sur le mot durable − des régions oasiennes.
En plus de notre travail sur le terrain, notre mission consiste à faire reconnaître aux autorités la contribution des oasis face au changement climatique. Menacées, les oasis sont en fait une partie de la solution.
Une gestion transfrontalière des nappes phréatiques est nécessaire pour éviter que certains pompent au détriment d’autres. Avec le projet de « gestion adaptative et de surveillance des systèmes oasiens au Maghreb », l’objectif est de permettre aux acteurs oasiens d’ajuster leurs actions en fonction d’un suivi régulier de la situation.
Il s’agira aussi de recueillir les « bonnes pratiques » dans les différents pays concernés (par exemple une gestion économique de l’eau, des pratiques agro-écologiques, un retour à certains systèmes traditionnels). Il faut trouver des moyens de rendre ces zones à nouveau attractives économiquement tout en préservant l’environnement ainsi que ce riche patrimoine.
Comment réagissent les différents pays à l’urgence de la situation ?
On observe une mobilisation croissante de la part de certains États. En 2004, le gouvernement mauritanien avait mis en place un programme de développement durable des oasis, pour une durée de 8 ans. En Tunisie, le projet « gestion durable des écosystèmes oasiens en Tunisie », élaboré pour la période 2014-2019, vise à promouvoir la diversification des moyens de subsistance dans les oasis traditionnelles ciblées.
Le Maroc reste pour l’instant le plus actif en la matière. Les oasis du sud marocain sont reconnues « réserves de biosphère » par l’Unesco depuis 2000, une Agence nationale pour le développement des zones oasiennes et de l’arganier y a été créée en 2010, et plusieurs programmes pour la protection des oasis ont été mis en place. Le projet « Oasis durable » fait d’ailleurs partie des initiatives phares portées par le Maroc pour la COP22 qui s’est tenue à Marrakech en novembre 2016.
Nous poursuivrons nos plaidoyers pour la protection durable des oasis lors du prochain sommet Climate Change en septembre à Agadir, puis à l’occasion de la COP13 sur la désertification en Chine, le même mois.