La Mauritanie, autrefois soumise à des règles de gouvernance strictes, se trouve aujourd’hui à un tournant crucial. Historiquement, deux principes majeurs guidaient l’exercice du pouvoir : d’une part, le chef était tenu de ne pas accumuler de biens matériels, afin d’assurer une gestion désintéressée ; d’autre part, les décisions religieuses émises par les marabouts, sous forme de fatwas, étaient appliquées sans contestation.

Avec une population jeune, représentant 60 % des moins de 25 ans, la Mauritanie traverse une transformation sociale et démographique significative. Par le passé, la société était structurée autour de tribus et de villages hiérarchisés. Les Maures, Peuls, Soninkés et Wolofs vivaient dans une organisation pyramidale, où les clans dominants, composés de guerriers et de marabouts, se situaient au sommet. Au niveau intermédiaire, on trouvait les hommes libres, tels que les forgerons, griots, cordonniers et bûcherons, tandis que les esclaves occupaient la base de cette hiérarchie sociale. Malgré ces disparités, toutes ces communautés partageaient une identité religieuse commune : l’islam.


Depuis l’indépendance, l’État mauritanien a progressivement atténué les rigidités de la hiérarchie sociale. Cependant, l’avènement de la démocratie dans les années 1990 a paradoxalement ravivé certaines divisions. Les politiciens ont exploité les affiliations tribales pour solidifier leur pouvoir, entraînant une compétition intense entre les tribus pour l’accès aux postes administratifs et politiques. Ce phénomène a conduit à une concentration du pouvoir entre les mains des familles dominantes, marginalisant les groupes extérieurs à ces cercles influents.

Un nouvel élément à noter est l’engagement des chefs dominants dans l’accumulation de richesses, tandis que les marabouts, autrefois figures respectées, se sont détournés vers des quêtes de biens matériels en Émirats, au Qatar ou en Arabie Saoudite. Cette évolution a laissé le pays sans la présence d’érudits véritablement écoutés par la population mauritanienne aujourd’hui.

En outre, la centralisation croissante de l’État a considérablement affaibli le rôle des autorités locales, telles que les Walis et Hakems. Chargés de la gestion des territoires, ces derniers se retrouvent désormais dépourvus de moyens et de pouvoir réel. La gestion des ressources, entièrement concentrée à Nouakchott, réduit les représentants de l’État en région à une fonction strictement administrative, se contentant d’apposer leur signature sur des ordres de mission émis par des fonctionnaires de la capitale, souvent accompagnés de partenaires qui évitent d’interagir avec les autorités locales. Loin de garantir une véritable gouvernance locale, cette administration se limite à une présence symbolique, laissant les citoyens dans une situation où l’État, éloigné de leurs réalités et de leurs besoins, demeure totalement déconnecté.

Face à cette absence de l’État sur le terrain, les citoyens, au lieu de se percevoir comme membres d’une nation unifiée, se replient de plus en plus sur leurs appartenances tribales ou ethniques. L’accès aux services et avantages de l’État dépend désormais de figures influentes issues de la féodalité, renforçant ainsi les structures traditionnelles au détriment d’une administration équitable et moderne. Sur le terrain, il apparaît que les régions et communes ont été établies principalement pour conférer des titres à des notables, loin de l’objectif d’améliorer les services pour les citoyens. Cette situation a engendré un désordre total dans la gestion de la chose publique, qui semble désormais dépourvue de véritable direction.

Le rôle des autorités administratives est fondamental pour une nation, et la déconcentration des moyens est essentielle pour susciter chez les citoyens l’espoir d’appartenir à une communauté nationale. Récemment, la Ministre de l’Environnement a franchi une étape significative en signant une convention avec six régions, et il est impératif que les autres départements emboîtent le pas. Nous devons tous œuvrer pour le bien-être des populations dans des territoires dirigés par des autorités qui ne peuvent se permettre de rester en marge des enjeux locaux.

Dans ce contexte, la Mauritanie doit repenser son modèle de gouvernance pour assurer une répartition plus juste du pouvoir et des ressources. L’émergence d’une jeunesse nombreuse et dynamique offre une occasion unique de refonder un État plus inclusif et efficace. Cependant, cela nécessitera une volonté politique forte pour dépasser les clivages historiques et garantir une administration véritablement représentative et accessible à tous les citoyens, sans distinction d’origine ethnique ou d’appartenance tribale.

Mohamed BNEIJARA

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