Thaqafa – La députée Marième Mint Cheikh, défenseuse des droits humains, est née dans une famille de militants. Elle a, dans le sang, le combat pour les droits humains. Son père, Cheikh Dieng, cadre à la Société nationale industrielle et minière (SNIM), fut syndicaliste, activiste des droits de l’homme et militant politique. Il fut de toutes les luttes depuis les années 80 à Zouerate.
Ce sont cet héritage et les grades qu’elle a amassés au fil de plusieurs années de militantisme engagé au sein du mouvement IRA, qui lui valent aujourd’hui sa présence au sein de l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, selon ses camarades de lutte. Parcours.
Marième Mint Cheikh Dieng est née en 1983 à Zouerate, bien que ses parents soient originaires de la Wilaya du Trarza. Elue députée, tête de liste des femmes de la coalition Sawab/RAG, à l’issue des élections locales de mai 2023, elle considère que ses impressions après cette élection se confondent avec celles qu’elle a toujours ressentie en tant que militante du mouvement IRA.
« C’est juste un bout de chemin qui vient compléter mon combat pour les droits humains, une nouvelle tribune plus large que je m’offre pour transmettre la souffrance des nombreuses victimes d’injustice et d’oppression » fait-elle remarquer.
Sur son choix comme candidate
« Le choix porté sur ma personne par le président Birame Dah Abeid, leader du mouvement IRA, à la représentation nationale, ne fait que renforcer l’idée que je suis une soldate, prête à servir là où on me le demande » souligne-t-elle.
Comme les deux autres femmes députées de la coalition Sawab/RAG, Ghamou Achour et Aminetou El Hacen Dia, Marième Mint Cheikh considère que leur élection s’inscrit en droite ligne dans la tradition révolutionnaire du mouvement IRA, celle qui a toujours su se poser en antithèse de la pratique ambiante.
« Aucune d’entre nous ne répond au profil standard du député mauritanien bon teint bon genre. Nous sommes issues de familles pauvres, au bas-fonds de l’échelle sociale, sans tribu, sans forces de pression, sans influence » détaille-t-elle.
Presque dans un soupir, elle lance, « aujourd’hui, nous sommes tranquilles, aucune dette à payer, au moment où beaucoup de nos autres collègues députés doivent certainement se tenir la tête entre les mains, à cause des sommes colossales qu’ils ont dû emprunter pour financer leur campagne électorale».
Sawab/RAG aurait pu obtenir plus d’élues si…
Marième Mint Cheikh affirme que si les élections législatives s’étaient déroulées avec plus de transparence, la coalition Sawab/RAG aurait pu faire élire d’autres députés qui affichent le même profil.
Celui d’élus choisis non pas parce qu’ils appartiennent à de grandes tribus, ou sont issus de famille riches ou à forte influence, mais parce qu’ils sont représentatifs d’une certaine catégorie de citoyens mauritaniens qui ont connu la souffrance et la marginalisation.
C’est, selon elle, le cas de l’ancienne esclave Habi Mint Rabah, libérée en 2008 par IRA après 30 ans de servitude, et qui était 2ème sur la liste nationale mixte de la coalition. C’est aussi le cas de deux autres candidats, une jeune fille et un jeune homme, enfants de martyrs victimes du Passif humanitaire.
« Ces gens, s’ils étaient élus, allaient porter la cause de beaucoup de personnes, celles qui croupissent dans l’esclavage ou en subissent les séquelles, celles qui vivent encore comme veuves ou orphelins depuis la purge des soldats noirs dans les années 90 » illustre-t-elle.
Qui est Marième Mint Cheikh ?
Teint noir, forme arrondie et bien remplie au standard mauritanien, Marième Mint Cheikh est une femme du Nord, avec cet héritage de franchise propre aux gens de cette région, cette fausse impression de naïveté et de candeur. Elle garde cependant dans ses gênes, ce côté futé et énigmatique de Ehel Guebla (habitants du Sud, le Trarza), ce penchant pour la provocation et le sens de la répartie.
Une lionne sous la peau d’un agneau, aussi chahuteuse, rieuse dans la vie privée, qu’agressive, arrogante et directe sur le champ de la confrontation. Cette description, presque tous les militants du mouvement IRA le partage. Et encore plus.
Née dans une famille de militants
Marième Mint Cheikh est native de Zouerate, là où elle a accompli tout son cursus scolaire. Elle a grandi à l’ombre d’un père, technicien de laboratoire à la SNIM, grand militant des droits de l’homme, syndicaliste et père fondateur de la Confédération générale des travailleurs de Mauritanie (CGTM), membre du mouvement d’émancipation des harratines au début des années 80, El Hor, qu’il représentait au niveau de Zouerate.
Enfant, Marième voyait son père rentrer tard après des réunions nocturnes interminables. Habitude qu’il maintiendra, selon elle, lorsqu’il suivit le parcours périlleux du parti Action pour le Changement (AC) de Messaoud Ould Boulkheïr jusqu’à sa dissolution en 2000.
Puis, cette nouvelle aventure aux côtés de son leader au sein du parti Alliance Populaire Progressiste (APP) dont il porta l’étendard au niveau du Tiris-Zemmour jusqu’à son décès (Paix à son âme).
« Mon père a connu toutes les pressions imaginables et inimaginables de la part de ses employeurs. C’était au temps du puissant parti-Etat, le Parti Républicain Démocratique et Social (PRDS) dont la devise était « si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi » raconte Marième. Dans un sourire, elle poursuit, « mon père était contre eux ; il le paiera cher, mais jamais il n’a plié ».
Son salaire est réduit et la société le prive de tous ses avantages et primes. Selon elle, il n’arrivait même plus à nourrir correctement sa famille. « Ma mère, Niaye Mint Boulkheïr, n’a jamais essayé de dissuader mon père pour l’amener du côté du pouvoir, ce qui aurait amélioré notre situation. Elle commença à vendre des beignets et des fatayas pour subvenir à nos besoins » souligne-t-elle.
Dans un large sourire, elle lance, « je suis forgée dans cette moule, c’est là où je puise la force de l’endurance, de la persévérance et du goût de la révolte contre l’ordre établi s’il est injuste ».
Une militante à la tête bien pleine
Marième Mint Cheikh est titulaire d’une licence en économie de l’Université de Nouakchott. Elle a passé tout son cursus scolaire à Zouerate. Primaire à l’école 1, secondaire au collège puis au lycée de Zouerate, baccalauréat en 2003.
Elle se lance très jeune, 12 ans, dans l’action militante au sein de SOS Esclaves, cette première association antiesclavagiste dirigée par l’architecte Boubacar Ould Messaoud.
Fin 2008 début 2009, elle rejoint le mouvement IRA qui venait d’être créé par un petit groupe de jeunes harratines conduit par Birame Dah Abeid, ancien de l’organisation SOS Esclaves et ex-Secrétaire général de la Commission nationale des droits de l’homme.
Rapidement, Marième Mint Cheikh se forge un nom et se fait remarquer dès les premières confrontations avec les forces de l’ordre. Elle devient rapidement d’ailleurs leur cible.
Celle sur qui s’abattent les plus violentes charges policières. Rouée de matraques et de coups de bottes à chaque sortie, elle n’en restait pas moins une montagne de défis. Son franc-parler quand elle dénonce l’esclavage, devient virale au sein des couches visées par ses diatribes.
Marième Mint Cheikh fait partie des militants d’IRA qui ont été les plus interpellés au cours de la décennie passée, ceux qui connaissent le mieux la typologie des différents commissariats de police de Nouakchott. Elle devient une icône de la lutte contre l’esclavage, après ses quatre mois d’incarcération à la prison des femmes.
Invitée à l’international
Après sa libération de prison, Marième Mint Cheikh est invitée en Allemagne en 2015, alors que Birame est incarcéré. Elle parle de IRA, de son combat, de la situation des droits de l’homme et de l’esclavage en Mauritanie. Elle sera invitée plus tard à Bruxelles pour évoquer la torture que les 13 militants et cadres d’IRA avaient subi, suite à l’affaire connue sous le nom de « Gazra Bouamatou ».
Sur son rôle futur de député
Aujourd’hui députée, 2ème rapporteur de la Commission des Affaires Etrangères au sein du Parlement, Marième Mint Cheikh estime que sa mission portera essentiellement sur la défense des droits des victimes d’injustice, en particulier le droit des femmes.
Elle estime que c’est la frange la plus opprimée dans le pays. Elle donne l’exemple des pères qui enlèvent leurs enfants pour les amener sans l’avis de leur maman et sans que cette dernière ne puisse disposer de la moindre possibilité de recours. Elle donne aussi l’exemple de ce pouvoir qu’ont les pères en Mauritanie d’arranger avec les agresseurs des contentieux subis par leurs enfants et sans que leurs mamans ne puissent avoir droit au chapitre. C’est contre ce tutorat abusif des hommes, qu’une certaine interprétation de la religion leur confère, qu’elle compte s’ériger.
« La femme est la plus exposée aux injustices dans notre pays, et cela dans tous les domaines, en particulier dans le domaine de l’esclavage » trouve-t-elle. Et de poursuivre, « c’est le maillon faible de nos sociétés ».
Au sein de la commission des affaires étrangères, Marième soutient que son rôle sera d’autant plus grand que c’est dans cette cellule où sont débattus les grands dossiers de la coopération internationale. « C’est là où les pratiques de corruption pourraient être les plus importantes, là où je ferais tout pour en atténuer les incidences ou en dénoncer les faits » avertit-elle.
Cheikh Aïdara