Après une série d’attaques terroristes sans précédent dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest, notamment contre le camp militaire de Kati, près de Bamako au Mali, Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network, revient sur l’expansion des groupes jihadistes dans la sous-région et la réorganisation du dispositif sécuritaire.
RFI : Il y a eu récemment des attaques inédites contre des camps militaires maliens, mais aussi des attaques dans le nord du Togo, au Bénin, au Burkina, est-ce qu’on est face à une résurgence de ces mouvements ?
Niagalé Bagayoko : Il s’agit plutôt de la confirmation de l’expansion des aires d’influence des mouvements jihadistes et de l’approfondissement de leur présence et de l’affirmation de leurs capacités. Ce qui s’est produit au Togo démontre que la progression vers le nord des pays côtiers se confirme, et les attaques le 21 et le 22 juillet démontrent qu’elles sont capables de s’en prendre à des capacités militaires, y compris à une quinzaine de kilomètres de Bamako. Comme cela est indiqué dans la revendication du GSIM, il est souligné combien le fait que les forces armées maliennes se soient alliées à ce qui est qualifié de mercenaires, donc c’est le groupe Wagner qui est pointé, ne va pas changer la doctrine du GSIMqui refuse toute alliance avec des partenaires étrangers quels qu’ils soient.
Est-ce que cette contagion n’est finalement pas une nouvelle démonstration de l’impasse de cette stratégie militaire ?
Plus largement une impasse de l’ensemble des moyens, il ne faut pas oublier que la plupart des partenaires ont aussi mobilisé des moyens en termes de programmes de développement, d’appui à la gouvernance, ceux-ci n’ont pas eu davantage de succès. La difficulté est que d’un côté, il est complètement irréaliste d’envisager lutter sans moyens militaires, mais la question est celle de la vision politique, quelle est l’alternative proposée notamment aux populations, face à ces acteurs qui proposent des modèles de société alternative ?
Comment ces mouvements peuvent-ils exploiter le départ de Barkhane du Mali et les tensions entre Bamako, Paris et même la Minusma maintenant ?
Le départ de la force Barkhane est l’objet d’assauts particulièrement violents de la part de la branche sahélienne de l’État islamique, donc le vide a immédiatement été comblé et la question est de savoir si la réarticulation du dispositif permettra d’apporter une réponse plus efficace et plus adaptée.
Justement, la France se réoriente vers le Niger, ça vous semble un choix judicieux comme base ?
Dans la mesure où il y a une expansion du côté du Niger, oui il y a un besoin. Le président Bazoum ne considère pas que le seul instrument militaire ou sécuritaire peut être la réponse exclusive, même s’il développe les programmes de renforcement des forces armées nigériennes. Il s’inscrit aussi à la fois dans une démarche d’amnistie, mais aussi dans une démarche de dialogue avec certains groupes.
La nouvelle doctrine française c’est l’efficacité dans la discrétion, mais aussi à distance, est-ce que ça vous semble réaliste ?
L’enjeu pour la France n’est pas simplement de démontrer qu’elle est en mesure d’avoir une efficacité, il est aussi d’intervenir sans se heurter à l’hostilité des opinions publiques, les populations se sont retournées et ont démontré, si ce n’est une hostilité farouche vis-à-vis de l’intervention française, en tout cas un très grand scepticisme. Donc aujourd’hui, cette approche dans la discrétion s’impose finalement à la France, et il va falloir qu’elle déploie sans doute une nouvelle stratégie, y compris en termes de communication, pour favoriser son insertion dans le milieu. Mais, de toute façon, les moyens qui seront déployés seront beaucoup moins massifs qu’ils ne l’ont été dans le cadre de l’opération Barkhane qui consistait en un déploiement extrêmement important de contingents au sol.