Alakhbar – L’Ambassadrice d’Allemagne à Nouakchott, Isabel Hénin, a qualifié la relation qu’entretient son pays avec la Mauritanie de stable et profonde, indiquant qu’elle s’inscrit dans une grande continuité.
« C’est surtout ces relations et expériences personnelles qui contribuent à la compréhension mutuelle et font vivre le partenariat » entre Berlin et Nouakchott, a-t-elle ajouté.
Mme Isabel Hénin a par ailleurs rappelé la volonté d’Allemagne de renforcer la coopération économique avec l’Afrique notamment dans le domaine énergétique.
Elle a aussi évoqué l’avenir du G5 Sahel après la sortie du Mali de cette organisation sous-régionale consacrée à lutter contre le terrorisme.
Interview réalisée par Mohamed Diop.
ALAKHBAR _ Quel est votre appréciation des relations mauritano-allemandes ?
Isabel Hénin : Les relations entre nos pays ont une longue tradition et sont excellentes, je m’en réjouis chaque jour. L’Allemagne est et a été parmi les premiers pays partenaires de la Mauritanie dès son accession à l’indépendance. Ce qui marque nos relations c’est leur stabilité et leur profondeur. C’est une relation très saine parce qu’elle s’inscrit dans une grande continuité.
Notre partenariat est fondé sur un dialogue politique approfondi et une coopération dans des domaines variés, qui vont du renforcement des capacités de la police jusqu’au secteur de la culture. Il est également enrichi par les échanges à tous les niveaux, par exemple par les jeunes Mauritaniens et Mauritaniennes qui partent étudier en Allemagne et reviennent avec non seulement une qualification professionnelle, mais aussi une expérience personnelle. C’est surtout ces relations et expériences personnelles qui contribuent à la compréhension mutuelle et font vivre un tel partenariat.
Ces derniers mois en particulier ont été riches en échanges politiques entre nos deux pays : il y a eu, par exemple, des déplacements des représentants du Gouvernement mauritanien en Allemagne. Au plus haut niveau, il y a eu des rencontres entre le Président de la République, M. El Ghazouani, et le chancelier fédéral M. Scholz à Bruxelles, et entre le ministre des Affaires étrangères M. Merzoug et son homologue, Mme Baerbock, à Madrid. La crise sanitaire avait quelque peu réduit les rencontres. Elles ont désormais repris avec intensité !
Lorsque j’ai pris mes fonctions d’ambassadrice, l’an dernier, on m’a demandé de trouver une phrase à mettre en exergue sur notre site internet. Cette phrase, c’est un peu mon postulat personnel, l’objectif que je me fixe pour mon séjour, ma vision de diplomate. J’ai choisi : « développer et fortifier les relations entre la Mauritanie et l’Allemagne ». Ce ne sont que quelques mots, mais c’est mon fil rouge.
ALAKHBAR _Quels sont les domaines de coopération économique mauritano-allemande ?
Isabel Hénin : Nous avons une longue tradition de coopération de développement qui a évolué avec le temps, s’orientant selon les objectifs prioritaires du gouvernement mauritanien. Actuellement, nos deux pays travaillent ensemble dans trois domaines qui réunissent à la fois la coopération technique et financière. Ces domaines sont (1) la bonne gouvernance et la cohésion sociale, (2) la protection de l’environnement et de la biodiversité, ainsi que (3) le développement économique, la formation professionnelle et l’emploi.
Un des projets phare est la construction et la réhabilitation d’écoles de formation professionnelle, dont une dans le sud de Nouakchott, à Riad. Dans le domaine de la bonne gouvernance, l’Allemagne apporte un appui à la décentralisation en Mauritanie, dans les régions du Tagant et du Brakna, ainsi que dans une commune à Nouakchott.
Traditionnellement, l’Allemagne est engagée dans le secteur de la pêche et contribue, entre autres, au renforcement des Garde-côtes, à la gestion durable des ressources halieutiques, à la recherche, et la promotion des chaînes de valeur et de l’emploi dans le domaine de la pêche artisanale. Ces projets sont mis en œuvre par des opérateurs allemands, comme la KfW et la GIZ. À ces trois domaines, se rajoutent d’autres formes de coopération, y compris avec la société civile, ou encore à travers l’Union Européenne, les agences des Nations Unies et des initiatives régionales. Certains projets visent à renforcer la résilience contre les effets négatifs du changement climatique ou la coexistence pacifique entre les communautés hôtes et des réfugiés, pour ne citer que quelques exemples.
Pour les années 2021 et 2022, le gouvernement allemand a mis 60 millions d’Euros de dons à la disposition de la Mauritanie. La prochaine enveloppe sera définie lors des prochaines négociations intergouvernementales qui auront lieu à Berlin au début de l’année 2023.
ALAKHBAR _Quel est le volume des échanges commerciaux entre l’Allemagne et la Mauritanie durant ces trois dernières années ?
Isabel Hénin : Bien que l´Allemagne ne fasse pas partie des principales destinations des exportations mauritaniennes, et vice-versa, elle reste quand même un partenaire économique important. Les principaux produits que l’Allemagne exporte vers la Mauritanie sont les véhicules, les pièces détachées, les machines, les produits chimiques, les appareils de traitement des données. Au cours des 25 dernières années, ces exportations ont augmenté de 27,9 millions de dollars en 1995 à un total de 80,9 millions de dollars en 2020. Les exportations de la Mauritanie vers l’Allemagne sont dominées par le minerai de fer, les produits de la pêche, et d’autres minéraux, y compris l’or. En 2020, ces exportations atteignaient 131 millions de dollars.
Par ailleurs, de nouvelles opportunités se présentent pour des investissements des entreprises allemandes, notamment dans le domaine des énergies renouvelables ou encore l’hydrogène vert. L’Allemagne a développé des technologies très intéressantes dans le domaine des énergies renouvelables. La Mauritanie dispose de ressources considérables en la matière. Cela ouvre de nouvelles perspectives.
ALAKHBAR _Votre attaché militaire s’est rendu dans notre base militaire aérienne à Atar. Peut-on interpréter cette visite comme un début de soutien allemand aux armées mauritaniennes? Si c’est le cas, pourrez-vous nous donner une idée de ce soutien en termes de chiffres et de priorités?
Isabel Hénin : Le dernier programme de coopération militaire est arrivé à terme en 2005, mais la fin d’un programme ne signifie pas, bien sûr, que les échanges ne se poursuivent pas ! Cette visite s’est fait dans le cadre des contacts réguliers. Il y a aussi des programmes de formations ponctuelles en Allemagne. Ces dernières années, la coopération de l’Allemagne en faveur des forces de sécurité a notamment permis d’appuyer le renforcement des capacités policières. L’Allemagne soutient par ailleurs un programme de gestion des armes de petits calibres et munitions. Nous avons également contribué, y compris à travers l’Union européenne, aux structures de sécurité et de défense du G5 Sahel, comme par exemple le Collège de Défense du G5 Sahel ou la Force Conjointe. Ainsi, j’ai participé à l’inauguration du siège de la base ouest du commandement de la Force Conjointe en juin dernier, en présence, entre autres, du Ministre de la Défense, de l’Ambassadeur de l’Union européenne et du Commandant de la Force Conjointe du G5 Sahel.
ALAKHBAR _La Mauritanie se dirige vers des élections anticipées aux premiers mois de l’année 2023. L’Union européenne financera-t-elle ces élections ? Et dans quelles conditions ?
Isabel Hénin : De façon générale, ni l’Union Européenne ni l’Allemagne ne financent des élections. L’UE a des instruments pour soutenir la tenue d’élections démocratiques via des projets d’appui technique spécifique, de sensibilisation sur le processus électoral ou le déploiement de missions d’experts ou d’observation, si le souhait est exprimé par le pays concerné.
ALAKHBAR _Comment vous évaluez le niveau de transparence ?
Isabel Hénin : Le Président de la République a fait de la lutte contre la corruption une priorité politique. Nous saluons des efforts et actions entamées, comme la réforme du code des marchés publics ou la publication des rapports de la Cour des comptes. Une stratégie nationale de lutte contre la corruption est en cours d’élaboration. Le FMI, lors d’une mission en juin dernier, a reconnu les efforts de la Mauritanie pour renforcer la gouvernance et la responsabilité et apprécié la nécessité de progrès continus en matière de transparence, d’intégrité et d’état de droit. C’est aussi nécessaire pour contribuer à l’amélioration du climat des affaires afin d’attirer des investissements du secteur privé.
ALAKHBAR _Quel est votre constat de la situation des droits de l’homme en Mauritanie ?
Isabel Hénin : Il y a un dialogue constructif avec le gouvernement, les institutions nationales des droits de l’Homme et les acteurs de la société civile sur la situation des droits humains, sur les défis ainsi que sur les efforts de leur amélioration. L’Allemagne, via différents programmes, y compris la promotion des droits humains et dialogues sur les droits humains, mis en œuvre par la GIZ, soutient la promotion des droits humains, le renforcement des capacités et de l’Etat de droit en Mauritanie. En particulier, la promotion de la femme, les droits des femmes, et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles constituent un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Je suis la quatrième ambassadrice d’Allemagne en Mauritanie d’affilée et je suis convaincue que je peux aussi avoir un impact en jouant un rôle modèle, par la particularité de mon expérience, ma sensibilité et mon regard de femme. L’Allemagne ancre les principes d’une politique étrangère féministe. C’est un objectif transversal, dans tous les domaines de la politique étrangère et de développement. C’est un des marqueurs de mon gouvernement.
ALAKHBAR _Le G5 Sahel peut-il continuer à exister après la sortie du Mali et la frustration du Tchad ?
Isabel Hénin : Comme vous le savez, l’Allemagne a soutenu dès le début le G5 Sahel – et continue à le faire – de façon bilatérale, en tant que membre de la Coalition pour le Sahel et l’Alliance Sahel et à travers l’Union Européenne. Je ne vous cache pas que le G5 traverse une période de grand défi. L’Allemagne salue les engagements de la Mauritanie, en tant que pays hôte, en faveur de cette alliance. Il sera important que les pays membres du G5 trouvent une entente sur le cadre de leur coopération pour répondre de manière efficace aux défis de la région.
ALAKHBAR _L’Allemagne va-t-elle continuer à soutenir la Force conjointe du G5 Sahel sans le Mali?
Isabel Hénin : L’Allemagne continuera de soutenir des mécanismes de coopération régionale efficaces pour lutter contre le terrorisme dans la région. L’Allemagne salue le rôle important joué par la Mauritanie dans la mise en place et l’opérationnalisation de la Force Conjointe du G5 Sahel. Nous saluons également l’initiative des pays restants de poursuivre la structure. Néanmoins, il sera important de trouver un cadre de coopération dans lequel tous les pays de la région se retrouvent. Les crises au Sahel ont une dynamique et une portée régionale. Elles ne peuvent pas être résolues de façon unilatérale, par des États du Sahel individuellement.
ALAKHBAR _Avez-vous une idée de la crise alimentaire qui secoue le Sahel ? Comment l’Allemagne espère contribuer à son allègement ?
Isabel Hénin : Selon les Nations Unies, 18 millions de personnes dans la région du Sahel, y compris en Mauritanie, sont menacées d’insécurité alimentaire aiguë. La guerre d’agression menée par la Russie en Ukraine et l’augmentation massive des prix des denrées alimentaires et de l’énergie qui en a résulté ont encore aggravé la situation. Il est important de rappeler que cette crise ne résulte pas des sanctions contre la Russie car elles ne ciblent pas directement l’approvisionnement en nourriture ni en engrais, mais du fait que la Russie se sert de la faim comme arme de guerre.
C’est pourquoi l’Allemagne met à disposition 33 millions de fonds de réserve pour les plus grandes urgences humanitaires, y compris dans la région du Sahel. Au total, l’aide humanitaire allemande au Sahel s’élève déjà à 60,3 millions d’euros cette année. En tant que deuxième donateur humanitaire mondial, nous ne laissons pas seules les personnes touchées par les crises et le changement climatique dans la région et répondons aux besoins.
Pour donner un exemple concret, nous venons d’augmenter notre soutien au Programme d’alimentation mondial (PAM) pour la région du Sahel de deux millions d’euros supplémentaires, ce qui porte le total à 25,5 millions d’euros pour 2022. Cette année, le PAM a déjà pu apporter une aide alimentaire d’urgence à 2,6 millions de personnes. En complément, l’Allemagne a augmenté l’enveloppe bilatérale de 500.000 Euros pour apporter un soutien au Commissariat à la Sécurité Alimentaire dans la région de Boghé pour le stockage et la distribution de denrées alimentaires.
ALAKHBAR _L’Allemagne va-t-elle profiter du gaz mauritanien pour réduire sa dépendance de la Russie laquelle est en conflit avec l’Occident?
Isabel Hénin : Le gouvernement allemand est déterminé à réduire sa dépendance vis-à-vis des approvisionnements énergétiques de la Russie en développant des capacités alternatives d’importation de gaz naturel liquéfié ou de pétrole, de manière solidaire. Le chancelier fédéral, M. Scholz, avait exprimé sa volonté de renforcer la coopération économique entre l’Afrique et l’Allemagne, notamment sur l’énergie, lors de sa visite au Sénégal au mois de mai. Même en temps de crise, l’Allemagne reste pionnière de la transition énergétique, en poursuivant ses objectifs climatiques. Cela comprend également l’abandon des combustibles fossiles et l’accompagnement de nos partenaires du monde entier dans la transformation énergétique. Donc, pourquoi pas en Mauritanie.
ALAKHBAR _Vous venez de boucler un an de mission en Mauritanie. Qu’est-ce que vous appréciez le plus dans ce pays ? Qu’est-ce qui vous a surpris à Nouakchott, la capitale ?
Isabel Hénin : Cette première année a été très riche en rencontres et en déplacements. J’ai beaucoup appris sur la Mauritanie et je continue d’approfondir ma compréhension de ce pays unique et tellement beau. J’ai surtout pu constater la grande hospitalité des Mauritaniens et Mauritaniennes. Je peux aussi témoigner des bonnes relations que nos deux pays entretiennent depuis des décennies. La Mauritanie est un carrefour entre des espaces et des populations, de patrimoine, de culture et de traditions variés.
Je suis également fascinée par les paysages et la nature, entre les grands déserts, la brousse, les côtes et leurs longues plages, ou encore par la vallée du Sénégal que je m’apprête à visiter.
A Nouakchott, c’est ce rythme propre à cette ville qui m’a le plus marquée ainsi que ses joyaux cachés derrière des murs. C’est très différent des capitales que j’ai pu connaître au fil de ma carrière.
Mais, il y a un grand défi à relever, c’est la question des déchets, y compris leur recyclage. Et chacun et chacune peut y contribuer. À l’Ambassade, à notre petit niveau, nous allons voir comment nous pouvons y contribuer.