Le Calame : Il y a quelques mois, le Collectif des cadres mauritaniens expatriés a publié un communiqué révélant l’existence de pesticides et de produits toxiques dans le thé consommé en Mauritanie. Il a saisi quelques ministres du gouvernement. En réponse, le ministère du commerce a déclaré avoir demandé une contre-expertise avant d’agir. Comment le CCME a-t-il accueilli la réaction dudit département ?
Mme Aicha Limam : Votre question porte sur deux aspects. En un, la contre-expertise. On ne peut parler de contre-expertise que si de nouvelles analyses de laboratoire portaient sur les mêmes échantillons prélevés en Mars 2021. Dès lors que les nouvelles analyses porteront sur des échantillons différents prélevés en Août 2021, il s’agira simplement d’une nouvelle évaluation. Qu’elle aboutisse à des résultats similaires ou différents de ceux de Mars, cette évaluation ne constituerait scientifiquement et en aucun cas une contre-expertise à celle de Mars. Le deuxième aspect est la réaction du département du Commerce. Le Collectif des Cadres Mauritaniens Expatriés (CCME) salue l’accueil réservé par le MCIAT (Ministère du Commerce, de l’Industrie, de l’Artisanat et du Tourisme) à l’étude du CCME, le comité conjoint mis en place avec le CCME et l’initiative d’entreprendre une étude consécutive sur un plus grand nombre d’échantillons. On se réjouit au CCME que le ministère du Commerce ait entrepris cette nouvelle évaluation, que nous avons d’ailleurs soutenue dans la phase de collecte des échantillons. Nous sommes, à l’instar de l’ensemble des Mauritaniens, impatients de découvrir les résultats de ces analyses (qui devraient nous fixer sur les taux de métaux lourds, colorants et mycotoxines contenus dans le thé que nous consommons). L’étude diligentée par le MCIAT vise à quantifier ces contaminants. Mais, au-delà de la réaction du département, le CCME salue la récente déclaration du porte-parole du Gouvernement indiquant les instructions du président de la République à l’endroit de tous les départements concernés dans le sens de fonder un laboratoire pour le contrôle de la sécurité des aliments en Mauritanie. Le CCME considère que c’est une étape importante dans la protection du consommateur contre les risques de mise sur le marché de produits dangereux. Le CCME considère qu’en plus du laboratoire de contrôle, il est nécessaire de mettre sur place une autorité indépendante et autonome chargée du contrôle des aliments entrant en Mauritanie.
– Que pourrait faire le CCME au cas où les analyses demandées par le ministère du Commerce prouveraient le contraire de celles avancées par le laboratoire sollicité par votre organisation ? Le cas échéant, quelles mesures réclamerez-vous au gouvernement ?
– L’étude du CCME a porté sur l’analyse de la présence de pesticides dans un échantillon représentatif des marques de thé consommé en Mauritanie. L’analyse a été confiée à un laboratoire agréé par la COFRAC (Comité Français d’Accréditation) et spécialisé dans ce type de travaux. L’étude du MCIAT va porter sur des échantillons différents et il serait tout-à-fait possible qu’elle présente certaines différences dans un sens ou dans l’autre. Mais il serait surprenant qu’il puisse y avoir des différences sur le fond, par rapport aux dangers liés à la consommation de thé que notre étude a révélés, ou sur la présence et les dépassements des LMRs (Limite Maximale de Résidu autorisé) des insecticides en question, dans la mesure où, à notre connaissance, aucune mesure restrictive sur l’importation de ces produits n’a été entretemps prise. Si un prélèvement de sang en Mars sur Ahmed révèle que celui-ci a le paludisme et qu’un prélèvement de sang sur Abdoul en Août montre que celui-là n’a pas de paludisme, cela ne peut signifier qu’Ahmed n’avait pas le paludisme en Mars. Attendons de voir les résultats et la présentation de la stratégie d’échantillonnage suivie. Alors les discussions commenceront. Une seule étude-alerte suffit pour conduire les autorités du pays à renforcer le dispositif de sécurité alimentaire., Nous devons tout de même souligner que nous nous interrogeons sur les retards très importants pris par ces analyses dont les échantillons auraient été envoyés au laboratoire en Août 2021, alors qu’il ne faut que quelques jours : quatre ou cinq comme indiqué sur le site du laboratoire pour obtenir des résultats. L’urgence de la situation et de la gravité du sujet commandent une action plus rapide.
– En plus de cette activité de veille, quelles sont les autres missions que s’assigne le CCME ?
-Le CCME est une association indépendante de cadres expatriés qui désirent participer au développement de leur pays. Leur objectif est de promouvoir et faciliter le développement de la Mauritanie, en mettant à contribution l’expertise multisectorielle de leurs membres, et de contribuer à l’émergence d’une nation fondée sur l’unité nationale, la justice économique et l’équité sociale. Parmi les interventions du CCME, on peut citer la mobilisation de financements et la réhabilitation de l’école 1 de Rosso en école-modèle ; l’accompagnement du gouvernement dans la riposte contre Ebola et la mobilisation face au COVID-19 ;la production de notes techniques sur les inondations à Nouakchott, l’esclavage et ses séquelles, l’unité nationale, l’éducation, la dette extérieure, l’organisation de conférences présentielles ou virtuelles sur l’unité nationale, l’assurance médicale universelle, l’environnement, la montée des eaux du fleuve et les risques d’inondation des villes, l’après COVID-19 en Mauritanie, l’emploi (« Jeunesse et emploi »), la « Gestion des déchets solides en Mauritanie » et la préparation (en cours) d’une conférence sur « Les risques d’inondation de la ville de Nouakchott » ; la contribution à des actions humanitaires telles que l’assistance aux populations affectées par les inondations…
– Voici quelques jours, un discours du président de la République dénonçait les archaïsmes sociaux de la Mauritanie. Réagissant à cette sortie, l’UPR a organisé un méga-meeting sous le thème de l’Équité. Que vous inspirent ces proclamations ? Peuvent-elles participer à la consolidation de l’unité nationale ? Si oui, comment ?
-Dans son discours à Ouadane, le président de la République a dénoncé les archaïsmes sociaux et affirmé que l’État continuerait à préserver l’unité nationale, la dignité, la liberté et l’égalité de tous les citoyens, quel qu’en soit le prix. Qu’il n’instituerait aucun privilège ou devoir sur la base d’une appartenance quelconque autre que celle à l’État. C’est un grand engagement du Président, tout à son honneur. Les principes énoncés correspondent aux objectifs du CCME qui a lutté et continuera à lutter pour assurer l’émergence d’une Nation fondée sur l’unité nationale, la fraternité, la justice, l’égalité des chances et l’équité sociale. Pour consolider l’unité nationale, il faut que tous les citoyens se sentent égaux devant la justice et l’emploi. Seul le mérite doit constituer la différence.
Pour finir, la plus grande réussite du CCME c’est d’avoir prouvé la possibilité de vivre en harmonie dans une Mauritanie plurielle. Oui, il est possible de sauvegarder l’unité nationale en faisant naitre un sentiment de communauté de destin, de solidarité ; en stimulant le respect du prochain, de son être, de son identité et de ses droits en tant que mauritanien. En faisant cela, toutes les autres considérations disparaîtront devant le Citoyen dans la République.
– Que pense le CCME de la flambée continue des prix des denrées de première nécessité et des mesures prises par le gouvernement pour l’endiguer ?
-La flambée des prix peut avoir des causes externes ou internes, voire les deux à la fois. Dans l’état actuel des choses, les prix ont connu une augmentation vertigineuse due principalement aux problèmes de transport durant la pandémie COVID-19. Bien qu’il ne soit pas possible d’influer sur les causes externes, il est crucial d’intervenir sur les causes internes pour essayer de soulager les souffrances des populations les plus vulnérables. Ces causes peuvent comprendre, entre autres, le quasi-monopole sur l’importation de certains produits, les coûts élevés de la production locale, etc. Il est donc nécessaire de développer la production nationale, surtout agricole, avec une maîtrise des coûts de production (notamment énergies et intrants) pour obtenir des produits compétitifs par rapport à ceux importés. L’une des leçons majeures de la pandémie COVID19, c’est l’importance de tendre vers la souveraineté alimentaire en promouvant les filières locales. C’est plus durable et plus sain pour l’environnement et pour nos populations. Il faudra aussi rapidement mettre en place le mécanisme d’importations dont on parle afin de réguler les prix des denrées de première nécessité pour contrecarrer les effets du monopole.
–Les cadres expatriés du CCME ont-ils choisi d’aller travailler à l’étranger plutôt que de mettre leur expertise au service de leur pays? Comment contribuent-ils à l’effort de développement du pays?
-Les motivations qui poussent les citoyens à s’expatrier sont multiples et différentes. Il yen a qui quittent le pays parce qu’ils ont des qualifications inutilisables dans leur patrie à cause des problèmes d’emploi. D’autres cherchent de nouveaux défis et une expérience internationale. Le marché de l’emploi est comme tous les autres. Il est fonction de l’offre et de la demande. Les pays dont l’environnement professionnel, socio-économique, politique est attractif s’offrent toutes les chances de s’attirer les meilleurs cerveaux, surtout quand ceux-ci sont assurés d’être valorisés. Cela dépend aussi de la bonne gouvernance et de la volonté politique. Il y a des pays africains très performants en matière de rapatriement des expertises. Il serait intéressant de s’inspirer de leur modèle. La tendance à l’exil des cerveaux peut s’inverser en améliorant significativement les secteurs de l’enseignement et de la santé, en faisant un effort dans le sens du renforcement de l’unité nationale, de la réunion de conditions d’équité dans l‘administration, basant la récompense et la sanction sur le mérite et non sur des considérations politiques, clientélistes, tribales ou communautaires, la mise en place d’une école républicaine performante et un système de santé efficaces…
Dans tous les cas, il s’agit de mauritaniens très attachés à leur pays et qui participent à son développement, bien que résidant à l’étranger. Le CCME constitue un exemple concret et efficace de cet attachement quand, par exemple, ses experts mettent au service du gouvernement des outils d’aide à la décision sur des sujets très techniques. Le CCME pourrait être mis à contribution, pour aider les départements qui en expriment le besoin, dans la définition des politiques publiques (santé, éducation nationale, positionnement diplomatique et/ou géopolitique, politique économique, agriculture, élevage, environnement…). Le CCME pourrait également apporter un support aux délégations nationales dans les négociations internationales (contrats miniers, accords multilatéraux, participation aux événements de portée internationale…)
– Depuis quelques années, les autorités mauritaniennes affichent une volonté de lutter contre la gabegie. Pensez-vous qu’elles s’y sont prises par le bon bout ? Quelle peut être la contribution de votre organisation à cette espèce de croisade ?
– Il est vrai que le pays a connu ces dernières décennies des problèmes de gouvernance à tous les niveaux, touchant tous les domaines et secteurs. Leur règlement nécessite non seulement une volonté affichée mais aussi des politiques, voire une stratégie déclinée en actions réelles, agencées à court, moyen et long terme, soutenue par une très forte volonté de l’État. Les problèmes sont graves et parfois profonds. Une lutte contre ces maux qui rongent le pays doit commencer par restaurer la confiance en l’État et le respect de la chose publique. Pour cela « le bon bout », comme vous dites, serait d’abord de régler de manière juste et transparente tous les problèmes préjudiciables à l’unité nationale et à la justice sociale et économique, l’abolition de l’impunité et l’adoption de l’égalité des chances dans l’accès à la fonction publique dont les recrutements et les promotions doivent être basées sur – et seulement sur –le mérite.
Nos contributions sont nombreuses. D’abord nous nous positionnons en think-tank qui réfléchit, analyse tous les problèmes du pays et propose des solutions, actions ou recommandations de solutions concrètes ; d’abord au gouvernement, premier responsable du développement du pays, ensuite à tous les acteurs nationaux et aux partenaires. Nous avons listé plus haut quelques-unes de nos contributions. Nous regorgeons aussi d’experts de très haut niveau dans presque tous les domaines, chercheurs, professeurs d’université, hauts fonctionnaires des organisations et institutions internationales, retraités qui ont accumulé de grandes expériences et compétences qui peuvent contribuer directement à l’essor du pays.
Propos recueillis par Dalay Lam