Abdel Kerim DIOP – Suite aux propos controversés, irrespectueux et calomnieux tenus par le Ministre de la Pêche et de l’Economie maritime devant les députés réunis à l’Assemblée Nationale ce jeudi 21 juillet 2022, nous, pêcheurs mauritaniens utilisant des sennes tournantes, voudrions éclairer la lanterne de l’opinion nationale, en rétablissant quelques vérités.
Tout d’abord, il est de notoriété publique que les pêches artisanale et côtière ont un impact incommensurable sur l’économie de notre pays.
Ainsi, elles sont à l’origine de plusieurs dizaines de milliers d’emplois directs et indirects : pêcheurs, dockers, mareyeurs collecteurs, mareyeurs frigoristes, écailleurs, employés d’usines, exportateurs, charpentiers, revendeurs et surtout revendeuses, petits commerçants ambulants, et nous en passons.
Chaque jour, tout ce beau monde converge vers la plage des pêcheurs, dans l’espoir de gagner son pain. Nous n’oublions évidemment pas l’autre pan, non moins important, de ces deux types de pêche, en l’occurrence le ravitaillement quotidien des marchés nationaux en poisson et ce, sur toute l’étendue du territoire de notre pays.
Nonobstant ces bienfaits indéniables, les pêcheurs, notamment ceux de la pêche côtière (qui utilisent des filets tournants), souffrent le martyre depuis plusieurs mois maintenant, à cause des diverses taxes dont ils ne peuvent s’acquitter, au risque de mettre la clé sous le paillasson.
En effet, en 2016, le Ministre alors en charge du secteur de la pêche avait élaboré des licences dont devaient se prémunir tous les types d’embarcation. Celle des sennes tournantes s’obtenait moyennant le versement d’un montant de 38500MRU. Ce sésame octroyait à ses détenteurs le droit de pêcher tous les types de poissons légalement autorisés et tous s’en acquittaient sans rechigner.
A notre grande surprise, le 22 juin dernier, le Ministre de la Pêche et de l’Economie maritime a changé de fond en comble la donne, en nous imposant le paiement de trois licences au lieu d’une seule : une licence pour la pêche pélagique à 66000MRU, une autre pour la pêche à la courbine à 75500MRU, ou les deux cumulées à 111000MRU.
Etant entendu que les sennes tournantes sont concernées par tous ces types de pêche, elles doivent chacune débourser, malgré la raréfaction chronique du poisson, le montant exorbitant de 111000MRU, pour pouvoir s’adonner à leur activité ; soit une augmentation exponentielle, tenez-vous bien, de 315% ! C’est donc une véritable chape de plomb qui s’abat sur nous, et notre Ministre de tutelle a décidé de nous faire boire le calice jusqu’à la lie en adjoignant à cette licence une dîme de 450 MRU à chaque tonne de poissons débarquée !
L’honorable députée, Madame Kadiata Malick Diallo, que nous remercions chaleureusement, soit dit en passant, comme d’autres personnalités avant elle, briefée par nos représentants, a eu l’affabilité, à l’Assemblée Nationale, d’attirer l’attention du Ministre de la Pêche et de l’Economie maritime sur le calvaire que nous endurons.
A notre grand étonnement, dans sa réponse, le Ministre est non seulement resté droit dans ses bottes, mais aussi et surtout, il nous a ostensiblement manqué de respect en affirmant, sans ambages, nous le citons : « Ils sont en train de faire des mensonges », ou en parlant de pêche « illégale, non déclarée, non réglementée », le tout assaisonné de propos teintés de mépris et d’arrogance.
Ce faisant, nous, pêcheurs mauritaniens utilisant des sennes tournantes, avons décidé de crier haut et fort, en prenant à témoin le peuple mauritanien, notre indignation, notre écœurement et notre désapprobation.
Comment une autorité, fût-elle Ministre de la République, peut-elle, dans une enceinte aussi auguste et empreinte de solennité que le Parlement, devant un parterre composé des honorables élus du peuple, s’en prendre vertement, dans un langage méprisant et insultant, à de paisibles citoyens dont le seul tort est d’avoir demandé des conditions de travail décentes ?
Monsieur le Ministre, dans votre intervention, vous affirmez, en vrac : « On est au septième mois de l’année et la licence devait être payée en janvier…Tous les autres ont payé depuis le mois de janvier…Pourquoi cette distinction pour les sennes tournantes ? » Mais, ce que vous omettez de dire, c’est que pour tous ces « autres qui ont payé », le prix de la licence n’a pas augmenté d’une seule ouguiya, alors que pour nous autres, il a plus que triplé ! Dans le même ordre d’idées, vous renchérissez : « Tous les gens de Nouadhibou ont payé deux licences. »
Permettez-nous, Monsieur le Ministre, sans gros mot aucun, et avec le respect dû à votre rang, de vous dire que vos informations ne sont pas correctes, car aucune senne tournante, qu’elle soit de Nouakchott ou de Nouadhibou, ne s’est acquittée de ces taxes onéreuses. Toujours dans votre réponse à la députée, vous déclarez : « La licence petit pélagique est à 55000MRU, la licence courbine est à 66000MRU. » Mais Monsieur le Ministre, quid des quotas qui sont passés de 700 tonnes non payantes par senne tournante et par an, à 250 tonnes, avec une taxe de 450MRU par tonne, que vous avez allègrement choisi de passer sous silence ?
Monsieur le Ministre, au cours de votre intervention, vous avez prétendu : « Ils ont un impact sur l’alimentation de la farine ; ce sont des pourvoyeurs de la farine, parce qu’ils amènent les produits dans des conditions où ils ne peuvent être orientés que vers la farine », ou encore « Quand on leur a dit qu’on va vous obliger à débarquer à Nouakchott, ils montrent une réticence. »
Permettez-nous, Monsieur le Ministre, toujours avec la même déférence due à votre fonction, de nous inscrire en faux contre de telles déclarations. Sachez, pour de bon, qu’à Nouakchott, 98% des produits de la pêche côtière sont destinés à la consommation nationale, et que seuls les 2% restants sont transformés en huile et farine de poisson (Muka), tandis qu’à Nouadhibou, le pourcentage destiné aux marchés du pays est de 75%. De même, toutes les sennes tournantes débarquent leur capture soit à Nouakchott, soit à Nouadhibou. De quelle réticence parlez-vous alors ?
Et sans doute sied-il de rappeler, Monsieur le Ministre, à votre intention, comme à celle de l’opinion nationale, que les sennes tournantes ne sont point l’apanage des pêcheurs de la localité de N’Diago. Certes, ils en possèdent et c’est tout à leur honneur, mais c’est aussi le cas d’autres vaillants compatriotes. Ce faisant, depuis l’instauration de ces mesures à tous égards draconiennes, tous ces propriétaires mauritaniens vivent dans un désarroi inénarrable. Aussi, nous vous rappelons que l’autre député qui vous a interpellé sur les difficultés susmentionnées n’est pas celui de Keur Macène, comme vous le dites dans votre allocution, mais bien un député élu sur une liste nationale.
Monsieur le Ministre, pour conclure, vous enfoncez le clou en déclarant : « Il faut que les gens soient sincères quand ils vous donnent des renseignements et qu’ils s’expriment de façon correcte. » Pour rebondir une dernière fois sur vos propos, nous vous rétorquerons tout simplement que nous n’avons fait que pousser un cri de détresse face à des mesures drastiques et inappropriées qui risquent de sonner le glas d’une activité qui, depuis maintenant quelques années, languit dans d’innombrables difficultés.
Nous ne saurons clore notre propos sans remercier, encore une fois, de vive voix, toutes les bonnes volontés qui, de près ou de loin, nous ont apporté leur précieux soutien. De même, nous réitérons notre ferme condamnation des propos vexants et humiliants du Ministre de la Pêche et de l’Economie maritime à notre encontre et lui demandons, ni plus ni moins de s’en excuser publiquement.
Les représentants des sennes tournantes.