Afin de soutenir la lutte des femmes pour l'égalité, la nouvelle législation foncière en Afrique doit établir des mécanismes d'inclusion explicites et obligatoires
Zenebeworke Tadesse
Depuis la première tentative de consigner par écrit le droit foncier coutumier durant la période coloniale, une tension persiste en Afrique entre le désir de codifier ce droit en un ensemble de règles simples et facilement identifiables, et sa pratique qui ne cesse de changer et qui se fonde sur des traditions âprement contestées.
Le sens attribué localement aux notions de biens fonciers ou de ressources se comprend sans doute mieux lorsqu'il s'exprime par un ensemble de droits, et aucune codification foncière globale ne peut refléter la complexité et les incertitudes liées à cette compréhension. Il apparaît clairement que les régimes fonciers traditionnels ne sont pas toujours facilement identifiables ou déterminés par consensus. Les lois élaborées reflètent donc souvent le pouvoir économique et politique relatif de groupes et d'individus dont les intérêts divergent.
Dans la plupart des pays africains, les droits fonciers des femmes, lorsqu'elles en ont, sont peu nombreux et précaires. Lorsque les femmes bénéficient de droits fonciers spécifiques, une convergence de facteurs externes et internes menace cet acquis limité. Les longues crises économiques, les conflits armés et la pandémie du VIH/sida, qui se combinent de manière complexe à la croissance démographique et à la rareté des terres, forment le contexte des tentatives de création d'une économie de marché qui stimule un marché pour les droits fonciers. Le processus de démocratisation a lui-même contribué à intensifier les conflits liés à la terre, mais a aussi permis d'accorder une plus large place à la participation dans les débats sur les politiques. Chacun de ces processus a eu une profonde répercussion sur les relations hommes-femmes.
Remplacement ou adaptation?
Un grand nombre des études de la Banque mondiale portant sur l'agriculture africaine tendent à conclure que les principales contraintes à l'augmentation de la productivité proviennent des points faibles du régime foncier coutumier. Ces études préconisent généralement de s'orienter vers des formes de propriété individuelles établies sur le droit écrit. Une autre approche à la réforme foncière, appelée «politique d'adaptation», s'intéresse à des approches plus progressives pour transformer les régimes fonciers traditionnels. Un paradigme d'adaptation nécessite un environnement juridique et administratif propice aux changements évolutifs des lois coutumières, ce qui implique une claire reconnaissance de l'applicabilité légale et du caractère exécutoire des règles foncières coutumières.
En Tanzanie, la politique de remplacement a souvent eu des effets secondaires imprévus (dépossession des droits traditionnels des femmes à la terre, par exemple) et il est loin d'être évident de savoir comment le paradigme d'adaptation pourrait résoudre ce problème de droit foncier pour les femmes ou quel serait le type de mécanisme proposé pour régler les différents.
La politique agraire nationale adoptée en Tanzanie témoigne de l'ambivalence classique entourant les droits des femmes dans les réformes des régimes fonciers que l'on voit apparaître depuis peu. Cette politique déclare que les femmes ont le droit d'acquérir de la terre pour leur propre compte, par le biais non seulement d'un achat, mais aussi dans le cadre d'une attribution. L'héritage des terres appartenant au clan familial continuera toutefois d'être régi par les coutumes et les traditions, et la propriété foncière entre mari et femme ne sera pas soumise à la loi.
Outre les dispositions de la nouvelle et de l'ancienne réforme foncière qui continuent de défavoriser les femmes, un autre préjugé dont elles font l'objet émane des institutions chargées de régler les différends fonciers. En Tanzanie, le mécanisme de règlements des différends est connu sous le nom de Mbaraza ya wazee ya ardhi. Ce mécanisme est structuré de sorte que les conseils des anciens du village conservent la compétence principale pour arbitrer toutes les questions foncières, y compris les litiges relatifs à l'individualisation des droits fonciers. Les conseils des anciens établissent leurs propres procédures, à condition de suivre les principes d'impartialité et de loyauté. Ils ne sont soumis à aucun code de procédure civile ou pénale ni au droit de la preuve, et ne sont pas tenus de répondre aux appels déposés par des avocats.
Depuis 1986, les femmes ougandaises ont obtenu gain de cause sur plusieurs fronts. La Constitution de 1995 stipule que les femmes ont droit à une égalité et à une protection juridique dans les activités politiques, économiques et culturelles. Grâce notamment aux efforts concertés du Caucus des femmes à l'Assemblée constituante, une clause a été aussi introduite dans la constitution pour interdire «les lois, cultures, coutumes ou traditions qui portent atteinte à la dignité, au bien-être ou au statut des femmes». Dans le cadre d'initiatives parallèles, les femmes se sont vu confier des postes clés au sein de ministères, y compris de vice-présidentes, et 30% des sièges leur sont réservés au niveau du gouvernement local.
En outre, la nouvelle constitution annule et remplace la loi coutumière. En d'autres termes, les coutumes qui portent atteinte à la garantie de l'égalité doivent être théoriquement considérées inconstitutionnelles. Toutefois, étant donné qu'aucune réforme statutaire n'a été adoptée, les dispositions constitutionnelles n'ont eu qu'un effet limité sur les tribunaux. La controverse déclenchée par la Loi de 1998 relative au régime foncier témoigne de l'inadéquation de ces dispositions à elles seules, et illustre pourquoi les clauses établies en vue de garantir l'égalité entre les deux sexes dans les nouvelles constitutions promulguées dans l'ensemble de l'Afrique durant les années 90 n'ont pas été efficaces.
Obstacles aux droits fonciers des femmes
Dans l'Afrique du Sud post-apartheid, le programme de la réforme juridique du régime foncier défini dans le Livre blanc sur la politique agraire publié en 1997 est l'élément central de la politique foncière nationale. Le Livre blanc précise que toutes les restrictions législatives qui empêchent les femmes de participer à la réforme foncière, notamment celles relatives à la réforme du mariage, aux droits à l'héritage et aux lois coutumières, doivent être abrogées lorsqu'elles font obstacle à leur droit de détenir des terres, et que des mécanismes doivent être établis pour assurer aux femmes une sécurité foncière, y compris la possibilité de faire enregistrer les biens acquis au titre de la réforme foncière au nom du ménage ou de ses membres individuels.
L'application de ces dispositions a été entravée de plusieurs manières. En premier lieu, il n'existe aucune directive pour identifier les bénéficiaires et garantir l'équité entre hommes et femmes. Un problème plus difficile concerne également la persistance des pratiques coutumières, telles que celles qui interdisent aux veuves d'hériter de terres et aux femmes de posséder des terres et de s'exprimer en public. En conséquence, les femmes sont perçues comme une sorte d'extension du chef de famille de sexe masculin.
Afin de soutenir la lutte des femmes pour l'égalité, la nouvelle législation foncière en Afrique doit établir des mécanismes d'inclusion explicites et obligatoires. Dans un avenir prévisible, les seules mesures susceptibles d'être adoptées dans certains pays africains concernent les droits conjoints de propriété foncière et, comme en Éthiopie, le droit des femmes à posséder de la terre indépendamment de leur statut marital. Même ces réformes modestes, pour avoir un sens réel, nécessitent de réformer les lois relatives à la succession et au mariage, et de les faire exécuter.
Un large éventail de législations sur la parité hommes-femmes a été adopté dans de nombreux pays africains dans les années 90. Presque toutes sont cependant restées lettre morte, soit du fait de leur caractère litigieux, soit en raison de leurs coûts d'application non prévus dans les dépenses publiques - ce qui est plus grave. Les avantages que dégageront les femmes de ces réformes dépendent également de la sensibilisation aux questions de parité des acteurs chargés de l'administration des terres, ainsi que de la volonté des responsables d'introduire plus d'équité entre les sexes dans les politiques et les services agricoles (assistance technique, mutuelles de crédit et sociétés coopératives, par exemple). Les mesures visant à renforcer le pouvoir de négociation des femmes au sein du ménage et à leur assurer une solution de rechange en cas de dissolution de la famille sont la clé de voûte de transformations durables et de relations plus équitables entre les hommes et les femmes en Afrique.