Antonio Guterres : «nous ne sommes pas en train de gagner la guerre contre le terrorisme au Sahel»

Écrit par Eclairage le . Publié dans Politique

RFI Afrique - Menace « terroriste » des ADF, avenir de la Monusco, la force des Nations unies en République démocratique du Congo, mais aussi crise en Libye et financement du G5 Sahel. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a répondu à nos questions, au micro de notre envoyée spéciale à Kinshasa. 

RFI: Antonio Guterres avez-vous reçu l’assurance du président Félix Tshisekedi que désormais, l’action de la Force des Nations unies en République démocratique du Congo (Monusco) ne sera pas entravée comme elle l’a été du temps de l’ex-président Joseph Kabila ? 

Antonio Guterres: Je crois qu’il y a un changement radical dans le rapport entre le gouvernement congolais et la Monusco. Aujourd’hui, il y a de la part du président de la République une volonté d’une coopération effective entre la Monusco et la RDC dans tous les domaines. 

Ce qui d’ailleurs correspond pour nous à un défi. Il nous faut correspondre à cette volonté en perfectionnant ce qu’on fait, en étant plus efficaces, et dans le domaine de la sécurité et dans le domaine de l’appui de toutes les institutions démocratiques de la RDC.

Vous plaidez pour que le Conseil de sécurité renouvelle le mandat de la Monusco avec quelques ajustements. Vous avez même promis ce lundi que l’ONU allait renforcer sa capacité d’action face aux rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF) dans l’est du pays. Comment allez-vous faire concrètement alors que chaque année, le budget de la Monusco est en baisse ?

Il y a deux domaines. Le premier, c’est naturellement l’ajustement de la dimension de la Monusco. Cela dépend du Conseil de sécurité. Je suis très nettement en faveur de la position qui dit que, nous n’avons pas des conditions pour arrêter la Monusco immédiatement. Ce serait à mon avis un suicide et pour le Congo et pour la communauté internationale et son image dans la région.

Il y a une révision stratégique qui est en cours. Et après il faudra voir avec la RDC une stratégie commune qui puisse permettre que le moment adéquat, cette mission puisse normalement être remplacée par la relation normale entre les Nations unies et un État, avec une équipe de pays qui coopère avec le gouvernement.

Mais à quelle échéance ?

Pour le moment, je crois qu’il nous faut revoir stratégiquement la mission et faire un ajustement qui puisse permettre qu’elle soit plus efficace. Ce n’est pas une question de nombre de soldats, c’est une question de stratégie, de tactique. Il faut renforcer l’activité de la Brigade d’intervention notamment, mais aussi de la force face à l’ADF. Et il faut aussi renforcer les mécanismes de coopération avec les Forces armées de la RDC.

Mais pourquoi est-ce qu’aujourd’hui il n’y a pas eu d’opération conjointe contre les ADF, depuis octobre 2018 ? 

Il y a eu des opérations conjointes. Mais à un moment donné, je crois que les choses ont évolué d’une autre façon. À mon avis, ce serait désirable d’avoir plus d’opérations conjointes et de profiter des avantages de mettre en commun les capacités complémentaires que les institutions ont. 

Est-ce que, avec le président Tshisekedi, la Monusco pourra mener seule ses propres actions offensives contre les ADF par exemple, comme le prévoit son mandat ? 

Je crois que le mandat permet -pour moi il y a clarté dans ce domaine-, que la Monusco puisse agir en appuyant les Forces armées de la RDC. Mais elle peut aussi avoir des opérations à elle-même. Mais naturellement, c’est normal que tout cela se fasse en étroite coopération parce qu’on ne veut pas avoir des stratégies qui ne soient pas des stratégies complémentaires. 

La pire chose qu’on pourrait avoir serait de force, avec des programmes d’actions différents parce que ça ne servirait qu’à faciliter la vie de l’ADF ou n’importe quel autre groupe armé.

Donc la Monusco pourra mener des actions offensives seules dans les prochains mois ? 

Je crois qu’elle peut le faire. Et je dirais même plus, je crois qu’elle doit le faire ! 

Qu’allez-vous dire aux membres du Conseil de sécurité pour les convaincre de ne pas se désengager financièrement de la RDC ?

Une chose très simple : la RDC représente aujourd’hui une opportunité qu’on ne peut pas nier. Il y a un vent d’espoir qui souffle. Je l’ai senti moi-même. La RDC est un pays-clé pour la région. La RDC a des frontières avec un grand nombre de pays africains. La RDC est un facteur ou bien de troubles ou bien de stabilité pour toute une région.

Abandonner la RDC serait à mon avis suicidaire du point de vue non seulement des Congolais, mais surtout des intérêts de la communauté internationale. Et quand on regarde maintenant un phénomène comme l’ADF. Ce n’est pas un groupe congolais. L’ADF fait partie à mon avis aujourd’hui d’un réseau qui commence en Libye, qui va au Sahel, qui va dans la région du lac Tchad, qui est présente au Mozambique.

Alors il faut regarder sérieusement la menace du terrorisme à l’échelle du continent, et il faut comprendre que l’appui à la stabilité, au renforcement des institutions démocratiques d’un pays comme la RDC, maintenant que nous avons une opportunité réelle de le faire, maintenir cet appui est à mon avis absolument essentiel. 

L’État islamique a revendiqué une série d’attaques attribuées à ces rebelles ADF en RDC. Est-ce que cette filiation terroriste avec l’État islamique est établie ?

Je ne sais pas s’il y a une liaison formelle. Mais c’est évident qu’il y a des liaisons réelles parce qu’il y a des recrutements qui se font dans d’autres pays qui vont en RDC. J’ai été au Mozambique très récemment où j’ai parlé au président du gouvernement mozambicain sur la menace similaire qu’ils ont dans le Nord.

Et j’ai reçu l’information qu’il y a des recrutements, même des gens qui viennent du Mozambique pour s’engager ici. Alors je n’ai aucun doute que c’est un groupe international, que c’est un groupe qui fait partie d’un réseau. Et c’est vrai que l’État islamique est exactement ça. Quelquefois, on peut le comparer à mon avis à une franchise. 

Il y a des groupes qui naissent n’importe où, localement, mais qui après pour bénéficier de l’entraînement, pour bénéficier de l’appui financier, pour bénéficier des contacts, annoncent la filiation ou bien à al-Qaida ou bien à l’État islamique. On voit de plus en plus que ça fonctionne en réseau. Et il faut adopter les stratégies adéquates.

Le futur gouvernement de coalition de RDC a été dévoilé. L’opposant Martin Fayulu estime que c’est le gouvernement de l’ex-président Kabila. Le président Tshisekedi y est minoritaire. Craigniez-vous que nous allions au-devant de blocages qui entravent l’action de ce gouvernement ? 

J’espère que non. Il faut regarder le futur avec espoir. Il y a une chose qui est évidente : nous avons une situation qui est nouvelle ; nous avons un respect des droits de l’homme qui est nouveau ; nous avons des cachots qui ont été vidés ; nous avons l’expression de l’opposition dans les médias. Alors je crois qu’il y a vraiment un climat différent. Rien n’est parfait.

Mais ce qu’il faut, c’est aider à créer les conditions qui permettent le renforcement des institutions démocratiques et qui permettent que l’espace pour l’expression de l’opposition soit agrandi, et que l’opposition elle-même puisse jouer un rôle très important dans le futur du pays.

Vous organisez avec votre représentant en Libye, Ghassan Salamé, une conférence internationale sur ce pays pendant la prochaine assemblée générale de l’ONU. Quels résultats peut-on en attendre si en amont, le Premier ministre Fayez el-Sarraj et le général Haftar ne se sont pas vus ? 

Je crois que le plus important aujourd’hui en Libye, c’est d’obtenir un cessez-le-feu, c’est d’arrêter les combats, et de créer avec ce cessez-le-feu les conditions pour qu’un dialogue politique puisse se réinstaller en Libye. La Libye s’est transformée malheureusement à l’endroit où beaucoup d’intérêts se jouent. 

Il y a un embargo, mais il y a des armes qui viennent d’un côté ou de l’autre. Il y a un effet de perturbation non seulement vis-à-vis du peuple libyen, mais vis-à-vis du Sahel, du reste du continent africain. Il faut, première priorité arrêter les combats et réunir tous ceux qui ont des intérêts en Libye directement et indirectement à comprendre que c’est le moment d’arrêter parce que personne ne gagne. Tout le monde perd.

Au G7, le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande, Angela Merkel, ont validé l’idée d’un nouvel effort financier pour le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad). Effort élargi à d’autres pays du golfe de Guinée. Est-ce que cela ne va pas rester marginal tant que le président américain s’oppose au financement pérenne ?

Je suis entièrement convaincu que la menace au Sahel est une menace réelle, que nous ne sommes pas en train de gagner la guerre contre le terrorisme au Sahel, qu’il faut renforcer cette opération. Je suis favorable à un financement des Nations unies avec des contributions obligatoires pour la force du G5 Sahel. Mais même ça aujourd’hui, à mon avis n’est pas suffisant.

De plus en plus et j’attends la réunion de Ouagadougou de l’Ecowas [Economic community of West African States], élargie à des pays du Sahel qui ne sont pas membres de l’Ecowas. Je m’attends à des propositions concrètes faites à la communauté internationale et que j’essaierai de défendre pour élargir la capacité de réponses à une menace terroriste qui se répand et qui ne représente pas seulement un problème pour la région, c’est un problème qui a des impacts possibles et dans le nord de l’Afrique et dans l’Europe.


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