04-03-2019 13:12 - Contribution pour une activité extractive offshore durable en Mauritanie

Écrit par Eclairage le . Publié dans Politique

Ebaye DAH EMINE - C’est donc en février 2006, que la Mauritanie a commencé à produire son pétrole à partir du gisement pétrolier offshore Chinguetti situé à 90 km au Sud-ouest deNouakchott

Parallèlement à cette nouvelle donne, et à l’instar des pays africains exportateurs du pétrole, la Mauritanie a élaboré une nouvelle stratégie par la création d’un ministère du pétrole et de l’énergie, la création d’un fond national des revenus des hydrocarbures, la création de la société mauritanienne des hydrocarbures (SMH) ...etc. 

Toujours dans le cadre de cette réactivité, la Mauritanie a adhéré en septembre 2005 à l’initiative de transparence des industries extractives (EITI), afin de mieux gérer les revenus générés des industries minières et pétrolières dans le pays. 

D’autre part, en 2006, le Gouvernement mauritanien a demandé à l’UICN de constituer un panel d’experts scientifiques indépendants chargé d’étudier les aspects sociaux et environnementaux de l’exploration et de l’extraction du gaz et du pétrole en Mauritanie. Ayant accepté, l’UICN a lancé les travaux de ce panel en 2007 grâce au soutien financier du gouvernement mauritanien, de l’AFD, de la coopération internationale des Pays-Bas, de la Fondation Mava, de la FIBA ainsi que sur ses propres moyens. Les objectifs du panel sont entre autres :

a) Améliorer la capacité de réponse des acteurs publics et privés face aux risques technologiques majeurs induits par l’activité pétrolière et gazière on et offshore.

(b) Améliorer la pertinence et l’efficacité de la législation environnementale dans le domaine de l’exploration et de l’extraction du gaz et du pétrole (on- et offshore).

(c) Stimuler le développement national, notamment à travers une meilleure répartition sectorielle et spatiale des investissements publics financés par la rente pétrolière et gazière.

Un projet de formation, visant la création d’un master de Gestion des Activités Extractives et Développement (GAED), a été programmé entre l’Université deNouakchott et l’Université Gaston Berger de Saint-Louis au Sénégal. L’ensemble de ces structures et initiatives, visent à bien cerner le dossier de l’activité extractive, notamment pétrolière et gazière sur le plan économique, social et environnemental.

La recherche académique et l’activité extractive en Mauritanie :

La question des rentes pétrolières et gazière en Mauritanie n’a pas encore fait l’objet d’un sujet de recherche académique de haut niveau, néanmoins d’autres travaux sur une échelle moins approfondie ont eu lieu. Au niveau de l’Afrique, et sur des pays comparables plus au moins à la Mauritanie (à signaler que peu de pays ressemblent au contexte socioculturel de la Mauritanie : paix sociale, absence de mouvements séparatistes, amélioration nette du contexte démocratique ainsi que de la liberté d’expression…), beaucoup de travaux ont été réalisés sur la base de plusieurs approches : 

Economiquement, les travaux réalisés visent à étudier le rôle de l’activité pétrolière et gazière dans le sous-développement des pays exportateurs, et de comprendre pourquoi ces pays n’en profitent guère. D’autres études ont été réalisées sur une vision purement écologique pour sensibiliser sur les effets nuisibles de l’extraction sur le milieu naturel. Ces études sont généralement menées ou appuyées par les institutions internationales de défense de la nature (UICN, Greenpeace, WWF…) faute d’établissements locaux crédibles et aptes. 

En géopolitique, des travaux ont essayé d’interpréter les conflits dans les zones d’exploitation et l’influence des compagnies transnationales dans ces conflits. Sur cette approche, les travaux tentent également à étudier les interactions entre pouvoir (autocratie, corruption…) et activité extractive. L’ensemble de ces études ont prouvé qu’il y a un effet direct et indirect du pétrole sur le milieu de son exploitation. Les avis divergent sur la nature de ces effets, certains s’inscrivent dans le cadre de la théorie de la malédiction des ressources naturelles visant sa confirmation en s’appuyant sur les séquelles bien visibles de l’exploitation pétrolière dans beaucoup de pays : Congo, Angola, Nigeria…et les exemples ne manquent pas malheureusement. 

R. DITTGEN étudiait l’implantation chinoise dans les activités extractives enAfrique (l’exemple du fer de Bélinga au Gabon). Il donne une description du contexte politico-environnemental, dans lequel la Chine s’approprie des contrats en contre partie des investissements dans l’infrastructure manquante en Afrique. Il en résulte que les liaisons personnelles d’un tel dirigeant peuvent influencer l’évolution d’un contrat, ainsi que son décès peut affecter sa progression. D’autres travaux sont plus « objectifs » concernant la conversion des richesses naturelles en malédiction. Ils prouvent que celle-ci est loin d’être une fatalité des pays africains rentiers, mais plutôt liée à une prédisposition locale et/ou étrangère. 

À travers une vision géographique de l’interaction extraction-territoire, N. DONNERdécrit la conquête de nouveaux terrains, jusqu’au présent interdits aux activités extractives en conséquence de l’épuisement des ressources et leur contexte géopolitique, ainsi l’impact de cette conquête sur ces « enclaves ». L’essai (volum3) du HDR de G. MAGRIN qui visait à identifier l’implication des rentes dans les dynamiques des territoires et dans le développement à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, représente l’un des travaux les plus récents sur les rentes de l’activité extractive en géographie humaine. 

Le mémoire de Master de B. AUGE en 2007 est l’un des travaux les plus précis sur la Mauritanie. Il conclut que la Mauritanie a su montrer, malgré la faiblesse de sa production, et son intérêt stratégique, à l’époque, qu’une gestion saine des rentes pétrolières est bien possible en Afrique, de telle sorte que ces voisins producteurs, pourraient s’en inspirer. 

Vers une optimisation de l’activité pétrolière et gazière offshore en Mauritanie :

La Mauritanie n’est pas concernée par les conflits causés par les tensions ethniques comme dans beaucoup de pays africains exportateurs du pétrole et du gaz, vue la stabilité sociale et politique que connait le pays, la récente découverte des gisements, et la réalité que les champs exploités sont en milieu marin. Les conséquences négatives éventuelles pour la Mauritanie sont plutôt du genre « traditionnel » : dégradation de l’environnement sur les sites d’activité, diminution de la productivité locale ainsi que le renforcement du caractère rentier de l’économie du pays. 

En effet, l’expérience d’un grand nombre de pays africains producteurs et exportateurs du pétrole montre que cette ressource entraîne un déséquilibre des économies aux moyens et longs termes. Elle entraîne l’abandon et la dégradation des secteurs stratégiques des pays au profit de la nouvelle ressource (par fois éphémère). Elle absorbe le capital humain conduisant à l’effondrement de la productivité des autres secteurs importants dans l’équilibre socio-économique des pays (industrie artisanale, agriculture), comme il a été vérifié au Nigeria, en Angola et au Cameroun

Cela a conduit à la propagation de la théorie de la malédiction pétrolière, voie privilégiée de l’afro-pessimisme dans la presse, au cours des années 1990-2000. Dans le contexte mauritanien, une attention particulière doit être accordée au volet environnemental, au risque de la destruction par pollution des zones d’exploitation, de la ressource halieutique et l’écosystème marin : l’un des piliers de l’économie nationale. 

A rappeler que le risque de détérioration de l’environnement est plus élevé lorsqu’il s’agit d’entreprise provenant des pays émergents, moins soumise à des contraintes « d’image de marque » en matière de Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE). L’implantation des activités offshores du pays et le risque considérable sur la pêche artisanale et les perturbations écologiques sur le milieu marin ainsi que la population qui y vivent en contact, représentent des enjeux à contrôler avec la plus grande rigueur et sans le moindre laxisme. 

A titre indicatif, la compagnie pétrolière australienne Woodside a réalisé en 2002 une étude de la pollution pétrolière existante au niveau des côtes mauritaniennes, sur des photos prises entre 1992 et 2001. L’étude montrait des nappes de pétrole sur les côtes. La compagnie n’excluait pas que cette pollution est liée aux déversements des déchets pétroliers, pratiqués par les transporteurs de l’or noir, profitant du manque de moyen de surveillance sur les côtes ouest-africaines. Nombreuses sont les études qui montrent que l’activité extractive offshore conduit à des préjudices environnementaux considérables, fragilisant les écosystèmes marins. 

Cela a incité certains pays d’interdire les activités extractives d’hydrocarbures sur leurs côtes, tel qu’est le cas pour l’Etat de Floride aux USA. Le Costa Rica préfère le maintien de la pêche et du tourisme maritime au lieu de l’activité offshore. EnNouvelle Ecosse, il a été prouvé que l’impact économique du développement de gaz et pétrole offshore sur la pêche dans une zone, peu profonde et étendue serait déraisonnable sur un plan strictement économique. Bien entendu, laMauritanie et dans une démarche pragmatique et surtout réaliste n’a pas suivi se modèle et a opté pour l’exploitation de sa richesse offshore. 

Encore, il convient de veiller au contrôle strict et surtout régulier des activités des géants pétroliers et gaziers installés dans le pays (BP, Total, Kosmos Energy…). 

En plus de la ressource halieutique importante à l’échelle mondiale, la côte mauritanienne abrite plusieurs zones à intérêt écologique (PNBA, réserves de Chat Tboul et du Cap Blanc, PND). Ces écosystèmes connus par leur grande biodiversité, sont exposés à de nombreuses perturbations, ce qui nécessite un suivi permanent. Je me souviens qu’en 2006, lors d’une excursion en classe de la promotion Gestion des Ecosystèmes de la Faculté des Sciences et Techniques (Université de Nouakchott), j’ai vu moi même plusieurs dauphins échoués sur la côte dans le PNBA. Cela était lié probablement à l’exploration sismique pratiquée dans le cadre de l’activité des entreprises du secteur. 

Il n’est pas opportun de rappeler que la faune halieutique est vitale pour la Mauritanie. Elle génère une grande partie des recettes et constitue un gisement d’emploi pour le pays. La nouvelle activité extractive est considérée comme une pression supplémentaire sur la ressource halieutique, avec toutes les conséquences économiques et écologiques sur la population. 

Malgré lesdites études d’impacts environnementaux réalisées au début de l’exploitation qui n’ont pas mis en évidence de dangers certains sur l’écosystème marin dans les côtes mauritaniennes, des faits survenant après le changement du régime de 2005, ont contredit ces études. La compagnie Woodside était contrainte d’abandonner son activité au large des côtes mauritaniennes en conséquence de grandes lacunes constatées dans les accords signés avec les précédents gouverneurs du pays. Cela est bien sûr susceptible de se reproduire en absence d’études neutres et objectives qui évaluent de manière régulière les activités et les opérateurs du secteur. 

Perspectives :

Loin de la fatalité de la « malédiction des ressources naturelles », il est possible d’optimiser l’exploitation des cette ressource au profit du pays car, la thèse de malédiction mérite d’être discutée. Dans ce sens, et à titre indicatif, il est envisageable de développer le concept « d’une énergie épuisable pour une énergie renouvelable ». C’est-à-dire, destiner une partie de la rente des activités extractives pour renforcer l’utilisation des énergies renouvelables, dont le pays dispose d’un important potentiel (éolien sur le littoral, ensoleillement quasi-permanant…). Je dois préciser, qu’au niveau des énergies renouvelables, laMauritanie fait partie des bons élèves de la sous-région. 

Sur l’aspect contrôle et suivi, le rôle des établissements publics est attendu en premier degré, sans oublier les autres acteurs (ONG, spécialistes, médias...), car toute contribution nationale est la bienvenue dans une logique d’exploitation durable des ressources fossiles offshore. Le présent article s’inscrit dans cette démarche. 

Il existe tout en tissu de structures concernées par cette thématique. En plus des différents organes du ministère du pétrole, de l’énergie et des mines, laMauritanie dispose d’organismes chargés de recherche, du suivi et du contrôle pour le domaine maritime (ONISPA, IMROP et récemment l’ISSM). Il s’ajoute à ces structures, celles du ministère de l’environnement et du développement durable, notamment les directions : du contrôle de l’environnement, des aires protégées et de la protection du littoral. Les entités de soutien (établissements de formation supérieure, la société civile, médias…) sont invités à s’impliquer davantage dans cette nouvelle ère, par la définition d’un plan d’accompagnement en matière de gestion et du contrôle environnemental des activités extractives. 

Cela s’articule, après la volonté politique, sur le renforcement du capital humain et des moyens et équipements des unités de recherches et laboratoires spécialisés. Avec la convergence des efforts de l’ensemble de ces acteurs, le pays pourrait profiter de la nouvelle ressource sans nuire à son environnement marin et sa ressource halieutique, et donc à ses générations futures. 

Rappel :

1990 : Les prospections se multiplient dans le bassin sédimentaire offshore

2001 : Découverte du pétrole 

2003 : Test d’exploitation du champ pétrolier Chinguetti et déclaration de sa commercialité 

2004 : La première autorisation d’exploitation est accordée à la compagnie australienne Woodside

2006 : Première exploitation commerciale du pétrole. 

Bibliographie:

Lettre du panel ; 2008 ; panel d’experts scientifiques indépendants chargé d’étudier les aspects sociaux et environnementaux de l’exploration et de l’extraction du gaz et du pétrole en Mauritanie.

Lettre d’information du PRCM, 2005.

J. Amougou et al : Centre Tricontinental : économie et géopolitique du pétrole, points de vue du Sud, Alternatives Sud, Vol X (2003) 2, l’Harmattan. 187p.

Magrin G., 2011. Des rentes aux territoires. Contribution pour une géographie du développement en Afrique. Dossier d’Habilitation à diriger des recherches, université Paris 1 Panthéon Sorbonne, volume3, essai, 447 p.

Magrin G et Laetitia Perrier-Bruslé« Nouvelles géographies des activités extractives », EchoGéo [En ligne], numéro 17 | 2011, Sandra Kloff; 2004. Gestion environnementale de l’exploitation de pétrole offshore et du transport maritime pétrolier.

OILWATCH, juillet 2005. Exploitation pétrolière en Mauritanie.

Projet de mise en exploitation de Chinguetti, Etude d’impact sur environnement, Woodside, version finale 2005.

Augé B, 2007. Les enjeux géopolitiques du pétrole en République Islamique de Mauritanie, université de Paris 8, mémoire de master 2 de géopolitique.

Ebaye DAH EMINE, Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Pôle Environnement à la Communauté de communes du Pilat Rhodanien.



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